Modus Operandi: le vêtement, une extension de soi

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freluquetLE FRELUQUET

Marius, surnommé le freluquet, vit dans l’ombre de son frère aîné Florentin le tatillon, prospère homme d’affaires qui fait ombrage non seulement à ses enfants mais aussi à ses frères et sœurs. Marius, le cadet de sa famille souhaiterait être considéré avec autant d’admiration que son richissime frangin.
Peu doué pour les affaires il s’est réfugié dans la lecture et croit être un poète en devenir. Pour impressionner la galerie et attirer un peu de lumière de son côté, il épilogue sur l’actualité et abuse des formules toutes faites. Il pige son information dans les grands titres des médias sur le web et s’approprie les commentaires des analystes politiques. Il laisse traîner chez lui dans un désordre organisé sur sa table de salon des magazines volés dans des salles d’attente. À trop vouloir bien «perler» il s’enfarge dans les expressions et sème autour de lui la suspicion sur son savoir. Des chiens «bouviers bernache», des chaudrons «Langoustina», des manteaux de «rat musclé» ou le légume «boy choy», amusent son entourage davantage qu’elles ne l’impressionnent. En plus de ses diarrhées verbales et de ses crâneries, il a développé la fâcheuse habitude de reprendre les gens sur leurs choix de mots et la syntaxe de leurs phrases.
Il écrit des textes poétiques basés sur des jeux de mots qui suscitent un intérêt mitigé chez ses lecteurs et attirent le sarcasme. «Ton corridor, Ton corps y dort»; «Une montée de lait, Une montée de laids»; «Ampleur, En pleurs»; «Pluvieux, Plus vieux».

Alors que Marius le freluquet fait les coins ronds, Florentin le tatillon, son frère, est obsédé par la perfection. La hantise des lignes droites est un phénomène récurent chez lui, à preuve ce supplice qu’il impose à ses passagers quand il stationne sa Audi A8. Monsieur l’empereur stationne son bolide de reculons, question de sauver du temps quand il repartira mais surtout pour exposer la calandre chromée de son char. À la façon d’un airbus qui atterrit guidé par les lumières de la piste il s’aligne sur les lignes jaunes de l’espace de stationnement pour se garer. Il laisse le moteur tourné, sort de la voiture et jette un premier coup d’œil sur ses performances de routier. Trop à gauche. Il déplace le bolide et recommence son scénario. Trop à droite, il bouge à nouveau la voiture. À la troisième tentative, le voilà comblé par son travail de précision. L’auto est centrée à égale distance des lignes de stationnement de chaque côté. Un homme satisfait.
À la maison, les jours de spaghetti il garde près de sa serviette de table le journal du jour qu’il feindra de lire pour se soustraire au carnage des pâtes qui pendent de la bouche de ses trois enfants, mal appris selon lui. Lina, son épouse, joue avant tout un rôle de médiatrice et redoute les conflits entre son époux et ses enfants concernant les bonnes manières à la table.

LE VÊTEMENT, UNE EXTENSION DE SOI
Florentin, qui contrôle d’une façon excessive les moindres détails de ses enfants et de ses employés de peur que quelque chose lui échappe, est-il aussi tracassé par son apparence? Marius, l’archétypal personnage qui s’invente un rôle de toute pièce pour attirer l’attention, sonne-t-il aussi faux avec ses tenues vestimentaires qu’avec sa verve mal structurée?
Nous transférons, inconsciemment, nos attitudes dans la garde-robe. Peut-on imaginer Florentin, cet homme rigide, porter un t-shirt et des jeans troués lors d’une réunion au sommet de son entreprise? On remarquera son sens du contrôle par la rigidité du col de sa chemise et les manches fermement retenues par des boutons de manchettes telles des chaînes. Ses bas, qui portent ses initiales, attirent le regard dans des chaussures polies quotidiennement.
Marius, lui, à trop vouloir impressionner, se désincarnera et ressemblera davantage à un clown qu’à un poète en résidence. Ses fautes de goût auront autant d’impact autour de lui que ses fresques littéraires. La crédibilité d’un personnage est basée sur sa sincérité et son honnêteté. Cela se perçoit et s’entend.

NE PAS SE METTRE LA TÊTE DANS L’AUTRUCHE
Selon moi, certains de nos comportements se retrouvent dans plusieurs secteurs de notre vie. Ma théorie n’est nullement scientifique et repose simplement sur l’observation de femmes et d’hommes qui ont participé à mes ateliers sur la relation au vêtement. J’essaie d’amener ces participants à reconnaître des manières d’agir, des réactions qu’ils reproduisent tant dans leur relation au vêtement que dans leur relation au travail ou encore à la nourriture. Plutôt que de dissocier nos comportements vestimentaires des autres habitudes que nous avons développées tout au long de notre vie, nous devons les intégrer puisqu’ils sont complémentaires. Hérésie, croyez-vous?
Pour paraphraser cet ancien député provincial qui, à vouloir impressionner son auditoire comme le fait si bien Marius, nous a offert ce délice : «Il ne faut pas se mettre la tête dans l’autruche», je pense que sous-estimer notre relation au vêtement ne fait qu’amplifier notre difficulté à développer notre signature vestimentaire.
Malheureusement, puisqu’on associe encore le vêtement à la futilité, il devient difficile de le considérer à valeur égale avec les autres activités de nos vies alors qu’il est un trait d’union marquant dans les étapes de notre évolution. Parler de nourriture, de littérature ou de musique nous expose moins au phénomène des apparences, trois sujets nobles s’il en est par les temps qui courent. Cependant, entretenir une discussion sur le vêtement ouvre grande la porte à la notion d’artificiel, au danger de ternir l’authenticité et à toutes les autres conneries résultant de la connaissance succincte du rapport vêtement/corps/estime de soi.

Crédits photo: www.astucesdefillles.com et www.aliexpress.com

Voir mes articles sur le Huffington Post

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