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35 ANS DE SOBRIÉTÉ

Aujourd’hui, 15 octobre 2019, je souligne mes 35 ans de sobriété. Comme le dit si bien l’humoriste André Sauvé : «Qui l’eût cru?» Certainement pas moi. Je donne une conférence de 2 heures cet après-midi sur un sujet que j’ai développé depuis les 15 dernières années. J’ai délibérément choisi cette date pour me rappeler le chemin parcouru. De l’homme agité, maigrichon, à l’air morne, au dos arrondi qui se cachait derrière des verres fumés et qui peinait à s’exprimer, je suis devenu conférencier et animateur. Miraculé? Non. Gracié? Oui. Ma sobriété ne fait pas de moi un modèle ni un héros. Je ne suis qu’un humain qui avait des rêves et qui n’arrivait pas à les réaliser parce que des dépendances rongeaient ses forces et obstruaient sa vue.

LES ORIGINES

J’ai réalisé à quel point les empreintes de l’enfance sont fortes, marquantes et difficiles à déconstruire. Parce que c’est de cela qu’il s’agit : arriver à changer la piètre opinion qu’on a de soi, surtout si elle a été alimentée par l’entourage causant vexation et humiliation. L’ignorance et les tabous y sont pour quelque chose. Je suis de cette génération judéo-chrétienne du mensonge, du déni, du «qu’est-ce que le monde va dire?» ou toutes formes de différences d’être, de penser et de se comporter étaient jugées anormales et condamnées. Je suis dévasté de voir qu’aujourd’hui encore la santé mentale est abordée du bout des lèvres et que l’extrême droite bien-pensante nous tire vers l’arrière.

Être sobre n’a pas empêché l’angoisse, l’anxiété et l’insomnie de meubler mes jours et mes nuits pendant plusieurs années. Malgré une formation d’intervenant, des cours de yoga et de respiration, la méditation, vivre à la campagne, de marcher dans la forêt tous les jours, de ne pas fumer (je fumais 3 paquets de Gauloises quotidiennement quand j’ai arrêté de consommer), j’ai traversé une quantité incalculable de nuits recroquevillé en petite boule dans mon lit. Et si on ose être médicamenté, question de prendre un répit de sa tête, on croisera sur notre route quelqu’un qui nous culpabilisera de ne pas utiliser des produits et des méthodes plus naturelles et qui nous suggérera le «lâcher-prise» et l’«abandon».  Ben oui toé! La maladie mentale n’est pas une maladie noble. Elle doit se vivre dans l’ombre malgré toutes les campagnes de sensibilisation.

Déprimant? Non! C’est mon histoire. Tout le monde a son histoire même si elle est enrobée sur les réseaux sociaux de voyages, de diplômes, de succès, de vocabulaire, de carrière, d’amis célèbres, de beauté et de minceur. Avec ma sobriété d’un côté et ma compulsion de l’autre, j’ai traversé les 3 dernières décennies en négociant comme tout le monde avec les hauts et les bas de la vie.

LA PETITE HISTOIRE

Après une faillite financière en 1982 alors que les taux d’intérêt se situent à 22% et une peine d’amour qui me plonge dans une profonde dépression, je ne suis que l’ombre de moi-même avec mes 105 livres. Ce «bas fond» résulte de nombreuses périodes troubles entrecoupées d’épisodes plus calmes, mais toujours habitées par une fébrilité maladive.

Je retourne aux études pendant 2 ans. La fête se poursuit, mais les nuits blanches, les fêtes et les abus de substances diminuent en fréquence. Je prends un peu d’assurance et je vois une fine lueur au bout du tunnel. À la fin de ma formation, deux emplois me sont présentés. Je sens fortement à l’intérieur de moi qu’une 2e chance m’est offerte. Pendant un mois, je me questionne sur l’alcoolisme, j’observe mes habitudes de consommation, j’en discute avec mes compagnons de party. On pense que je rigole. Je n’ai rien d’un alcoolique selon eux. Mais je vois froidement que la boisson me contrôle et je peux y mettre des mots : DÉPENDANCE, OBSESSION. C’est alors que je fais un pacte avec la vie : «Tu m’ouvres une porte, j’accepte le défi». Homme de parole, j’arrête de consommer le 15 octobre 1984, j’ai 33 ans, j’oblique vers la sobriété et j’entame un nouveau chapitre dans ma vie. Je me suis gardé du pire.

LA RECONSTRUCTION

Je suis donc en formation continue avec moi-même depuis 35 ans. Explorer, comprendre, échouer, se décourager, réussir. Cette dépendance à l’alcool et à la drogue m’enseignera que mes dépendances sont multiples et que je peux être accro à tout ce qui m’entoure : trop de travail, de sucre, de colère, de tristesse, d’amour, etc. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre mes patterns et à les accepter. «Sortir de prison où améliorer ses conditions de détention» Inconnu.

MES RÊVES

Mes rêves ont tenu promesse. Adolescent, je m’imaginais en secret travaillant à Paris, à New-York, à travers le monde. Peur d’être marginalisé davantage et d’être considéré prétentieux et rêveur, je ne partageais pas mes ambitions. De toute façon, je ne serais pas capable de les réaliser. N’étais-je pas voué à l’échec? Mon souhait ultime était de rencontrer l’âme sœur et de fonder une famille basée sur le partage, la confiance, la joie. Mais comment grand ciel développer des aptitudes qu’on ne m’a pas inculquées et qui me sont étrangères?

Mon pacte avec la vie m’a donné des dividendes. Je célèbre cette année mes 32 ans de vie commune avec mon conjoint. J’ai travaillé à Paris, New-York, en Australie, j’ai été chroniqueur à la télé et dans différents médias, donné des conférences à travers le Québec et en Europe à l’occasion, mais toujours avec cet insupportable sentiment d’imposteur, de doute, de peur d’être débusqué.

LES DEUILS

L’AMITIÉ

Il n’y a pas que les glaciers qui fondent au soleil, les amitiés aussi. Des disputes, des conflits, des réconciliations, des abandons, des réconforts, des grandes peines d’amitiés et aussi de grandes joies. Accepter que des gens ne nous aiment plus, qu’ils nous médisent même. Leur souffrance se manifeste de différentes façons. Le cancer, le sida, le suicide, ont emporté des amis que j’ai pleurés avec des larmes de sang.

LE TRAVAIL

Les reconnaissances professionnelles sont stimulantes, mais les défaites, les refus et les changements de garde au travail causent de terribles bouleversements et de remises en question. Céder sa place par choix ou se la faire ravir est un aliment qu’il faut mastiquer longtemps avant de l’avaler et admettre que l’élève dépasse le Maître demande de l’humilité.

J’ai compris que je répétais mes patterns non seulement dans ma vie personnelle, mais au niveau professionnel aussi. Combien de fois me suis-je associé avec d’autres grands écorchés de la vie qui, comme moi, pensaient que «l’autre» était la cause des problèmes rencontrés.

Je m’excuse auprès de celles et ceux à qui j’ai adressé des commentaires opiniâtres et cinglants parce qu’ils me barraient la route. Je m’excuse auprès des associé.es et collègues que j’ai malmenés. Certaines amitiés ont été sacrifiées à l’autel de projets qui ont eu des déroulements imprévus.

L’ÂGE

Et un jour, comme cela, tout bêtement, on a 68 ans et la pré-vieillesse est un nouveau défi. Vieillir est une étape imparable de la vie. Réaliser que prendre de l’âge est un facteur de discrimination au travail est confrontant. Les offres de contrats diminuent, on nous oublie. Alors on réorganise non seulement son temps, mais ses valeurs, ses ambitions et on compose avec son corps et sa tête toujours aussi active et bouillonnante.

Je me suis donc trouvé une nouvelle mission : m’occuper de mon corps que j’ai négligé depuis toutes ces années. Après 35 ans sans exercice, je me suis remis à l’entraînement et à la course, tout doucement, depuis le mois de mai.

REMERCIEMENTS

Merci à ma sœur cadette qui m’a mené aux portes des AA il y a 35 ans. Merci pour son amitié, son support indéfectible et à ses 2 enfants qui ont fait naître en moi la fibre paternelle par procuration.

Merci à mes ami.es de longue date pour leur fidélité et leur sensibilité. Elles et ils se reconnaîtront.

Merci à mes défunts parents qui m’ont transmis la persévérance et le courage.

LA SUITE DES CHOSES

La vie poursuit son cours. Bien sûr, à 68 ans, je réalise plus que jamais qu’il y aura une fin. Mais en attendant, j’essaie de transmettre de l’espoir à celles et ceux qui entament un cheminement de réconciliation avec soi, qui luttent contre l’esclavage de la boisson et autre substance. Je félicite celles et ceux qui poursuivent leur route de la sobriété. Je suis avec vous de tout cœur.

On doit tous contribuer à rendre le monde meilleur, viable, aimant, ne serait-ce que d’arroser ses fleurs sur son balcon en signe d’hommage à la vie, sourire aux gens qu’on croise, encourager ceux qui ont besoin d’un levier.

Ne sous-estimés jamais l’impact que vous avez sur les autres.

Luc Breton


RECONNAISSANCE

Lundi 20 mai, jour férié, un congé pour relaxer… qui s’est avéré désastreux dès ma sortie du lit. Une troll m’a insulté sur les réseaux sociaux, mon chien a embrassé un porc-épic lors de la promenade quotidienne. De longues minutes à enlever avec des pinces les pics au visage et  aux pattes, du sang partout, le chien qui se débat. En prime, il a plus toute la journée. Vous pensez que j’ai remercié le ciel de me faire vivre une si belle expérience et que j’ai crié Namaste de toutes mes forces. Vraiment pas! Mon naturel colérique s’est manifesté à la puissance 10. Mais le calme a vite fait place à l’énervement parce que je sais que me saouler dans la colère, le sport, la nourriture, le travail, le sexe, la drogue et la boisson apaise les tensions intérieures… pour un temps limité, jusqu’à la prochaine crise déguisée en faux besoin. Comprendre que toute forme d’excès est synonyme d’ivresse et faire face à son ombre est déstabilisant.

L’excès peut donner l’impression d’être vivant et endormir la peur d’une vie manquée. Il peut aussi épuiser le corps, le mental et mener au découragement. L’excès est un pétard mouillé qui, à force d’être rallumé, ne produit plus d’étincelles, éteint sa propre flamme et enlève la lueur de nos yeux. La consommation mène à l’illusion et n’est qu’un miroir aux allumettes.

Une alarme a sonné pour moi il y a 34 ans et m’a avisé d’un danger éminent si je ne bougeais pas. Les astres se sont alignés et le bon «timing» n’a fait que donner le signal de départ et je suis sauté dans un train en marche. Personnellement, je ne crois pas au simple pouvoir de la vertu pour renverser une situation. Le fruit doit-être mûr. Les choses changent quand elles sont mûres, mais elles mûrissent plus vite quand on les éclaire». Pierre Foglia.

Transformer le vinaigre en miel est un long travail sur soi. La route à emprunter pour aller vers la lumière semble insurmontable jusqu’au jour où se mentir à soi nous empoisonne la vie … et le corps. D’abord, accepter son impuissance face à la situation et assumer ses failles, cela allège le poids sur les épaules. Le rétablissement est jalonné de hauts et de bas, d’histoires qu’on se raconte et de scénarios qui n’existent que dans nos pensées. Parfois même on pense que la vie nous récompensera pour notre bonne action. Mais on comprend vite que la vie ne nous doit rien et que rien ne fonctionne au mérite.

Être sobre ne m’a pas épargné des conflits familiaux, des échecs au travail, des crises existentialistes mais m’a permis de reconnaître que mes atouts n’avaient pas été effacés par les abus, mais au contraire attendaient de reprendre vie, sans oublier le potentiel de créativité dont j’ignorais l’existence. Ma démarche dans la sobriété m’a rendu plus humain, plus tendre, plus attentif à mes besoins et à ceux des autres. Développer de la bienveillance à notre égard est essentiel pour y arriver. Mais je ne suis pas un spécialiste en la matière. Je traverse périodiquement des rechutes de dénigrement de ma personne, de détestation de qui je suis. Le syndrome de l’imposteur ne disparaît pas par enchantement et je ne peux effacer mon passé. Les difficiles périodes de l’enfance et de l’adolescence se manifestent parfois et je dois me battre contre mes fausses croyances qui risquent de devenir des certitudes. Ce n’est pas un travail de tous les instants, mais je dois être vigilant. Mes démons et les méandres de mon mental sont encore actifs et sévissent sans crier gare. Je dois me rappeler que je ne suis plus qui j’étais, je ne suis plus où j’étais non plus, que je ne suis plus en danger, que tout passe, et que je ne serai jamais «le voisin d’à côté», celui qui est parfait, qui possède toutes les qualités et que tout le monde aime.

Je remercie la vie quotidiennement pour toute cette chance et ces privilèges. J’ai 68 ans, en pleine santé, en couple depuis 32 ans (on s’est marié il y a 3 ans), je vis à la campagne, j’ai des amitiés de longue date.  Être alcoolique et toxicomane n’a rien enlevé de ma valeur. Cette valeur parfois enfouie sous des couches de honte et de culpabilité s’est réveillée lentement, très lentement, et un homme assumé en tire profit aujourd’hui.

À celles et ceux qui doutent, je pense à vous. Je vous souhaite de découvrir votre potentiel et d’y faire confiance. Jamais, oh grand jamais, je n’aurais pu m’imaginer une aussi belle vie.

Luc Breton