Pour ou contre le «mou»?

Article publié dans La Presse le 28 mars 2020 par Iris Gagnon-Paradis.

Alors que nous sommes tous confinés à la maison, certains célèbrent sans gêne leur amour du « mou » à longueur de journée. Pour d’autres, se vêtir comme si on allait au boulot permet de garder le moral. Êtes-vous plutôt #mou ou #antimou ?

La question, posée sur notre page Facebook, a suscité près de 150 commentaires en quelques heures. En cette ère d’isolement, c’est une question qui fait réagir.

Chacun sa relation au linge « mou ». « Mou jusqu’à midi. Anti-mou après le dîner », ont répondu certains. « Mou, mais cute », ont dit d’autres. Certains s’assumaient en pyjama toute la journée – ou même sans sous-vêtements ! –, d’autres évoquaient le fameux dress for success pour expliquer que, même à la maison, le mou, c’est non : « #antimou pour bosser. Tout le temps. Sinon, j’ai l’esprit mou ! », a écrit une personne. « Anti-mou en haut, mou en bas, parfait pour les vidéoconférences ! », ont répondu plusieurs, révélant de façon assez rigolote cette nouvelle réalité où on n’a qu’à paraître professionnel en haut de la ceinture.

La journaliste indépendante et romancière Isabelle Grégoire a l’habitude du travail de la maison. Pour elle, le mou, pas question : « Ça déprime trop ! ». « Cela fait 20 ans déjà que je travaille de la maison. Pour moi, c’est une discipline de travail. Si tu ne commences pas ta journée comme si tu allais travailler, c’est plus difficile de s’y mettre. Si j’étais en pyjama toute la journée, je ne me sentirais pas aussi… professionnelle. »

Luc Breton est analyste en comportements vestimentaires. Travailleur autonome, il se fait aussi un point d’honneur d’éviter le « mou » à la maison. « J’ai expérimenté le mou et la sensation de “s’encrasser” arrive vite. Ça induit un laisser-aller qui peut aller jusqu’à la procrastination. Et, après cela, lorsque j’ai un contrat ou une conférence en public, j’ai de la difficulté à me réadapter à mes “kits”. Je m’impose donc une routine de travail. Je trouve que cela me donne plus d’aplomb. La question est toujours : est-ce que le vêtement crée l’attitude ou est-ce que l’attitude bonifie le vêtement ? »

Il y a le mou organisé et pas organisé. On peut être en mou cheap, semi-cheap, haut de gamme ou griffé ! Ça peut coûter cher, s’habiller en mou !

Luc Breton, analyste en comportements vestimentaires

M. Breton évoque le concept de l’image sensorielle, développé par la psychothérapeute Aline Dagut, fondatrice de l’École parisienne de Gestalt, qu’il cite ici : « Quels qu’ils soient, les vêtements éveillent en nous des comportements qui sommeillent. Si je porte du fluide et du flou, cela va réveiller en moi la souplesse, la légèreté. Si j’enfile un vêtement sévère, c’est ma rigidité qui s’éveille alors. Le vêtement fait vivre tour à tour des parties de nous-mêmes. »

En effet, le choix de nos vêtements va influencer notre perception de soi et notre construction identitaire, fait écho Mariette Julien, professeure retraitée de l’École supérieure de mode de l’UQAM qui s’intéresse à la mode et à ses symboliques sociales.

« Le vêtement mou est beaucoup associé au confort et à la détente, on est dans un sentiment de lenteur et de facilitation. Mais ça peut changer notre perception de soi, explique-t-elle. Les vêtements comme les complets ou les tailleurs sont quand même associés à des valeurs comme la productivité. D’ailleurs, on remarque que le premier ministre Legault, après avoir adopté un code vestimentaire un peu plus relax, a ressorti sa cravate, peut-être influencé par le Dr Arruda, qui a tout une garde-robe pour un homme ! Ça donne le message qu’ils sont capables d’organiser et de gérer. »

Le mou, reflet du contexte social

Cela dit, M. Breton est conscient que son comportement est peut-être générationnel, la jeune génération ayant depuis longtemps adopté un code vestimentaire plus permissif au travail. Et que la situation actuelle est le moment parfait de se « mochiser », comme disent les Français.

« Pour plusieurs personnes, la situation est temporaire. Les gens en profitent, ça donne un côté vacances, plus permissif, ça aide à faire baisser la pression », analyse M. Breton.

Alors que la société est stressée et angoissée, le fait de ne pas trop être guindé donne un certain sentiment de contrôle sur la situation. Mais le danger, c’est de tomber dans la dictature du mou !

Luc Breton, analyste en comportements vestimentaires

Mariette Julien montre que la question du linge mou, en apparence superficielle, ne l’est pas autant qu’on pense. « Chaque crise sanitaire, chaque pandémie a amené de gros changements. Ce qu’on voit, ce sont des valeurs qui étaient déjà en place avant cette crise et qui s’affirment davantage, comme le linge mou, qui existe depuis 20 ans. Le linge mou, dans le contexte de la pandémie, c’est notre incapacité à contrôler la nature. Ça nous oblige à montrer une certaine humilité. »

Avez-vous remarqué que les égoportraits se font beaucoup plus rares sur vos réseaux ? « Actuellement, on voit beaucoup moins de personnes qui se mettent en image – ou, si elles le font, elles ne seront pas trop maquillées, par exemple, explique-t-elle. Parce que le monde est en crise sanitaire, ça devient presque ostentatoire, on ne veut pas trop être superficiel. Donc on a tendance à niveler vers le bas. »

Ainsi, on passe d’un « corps spectacle » à un « corps naturel ». « Ça fait en sorte que l’être devient plus important que le paraître, et le linge mou devient un symbole de cela, remarque Mme Julien. D’ailleurs, malgré l’importance de la crise, je ne sens pas trop en ce moment de morosité. C’est qu’il y avait déjà des changements à l’œuvre dans la société, et cette crise va nous amener à d’autres valeurs plutôt associées aux jeunes comme l’authenticité et le vrai. »

Lien vers l’article La Presse


Article La Presse+ Luc vêt Bien

CHANTAL LAMARRE COLLABORATION SPÉCIALE

Entete LaPresse LucVetBien« Pour tant de gens, des femmes surtout, les portes du garde-robe sont les portes de l’enfer ! »

Le ton est convaincant et le propos de Luc Breton, « analyste en comportements vestimentaires », est très pertinent.

L’homme devant moi porte des montures de lunettes à son image : étudiées et extravagantes à la fois, un t-shirt blanc impeccable et distinctif avec ses deux poches à la poitrine et, au poignet droit, des bracelets fins et ouvragés. Il me montre une photo de lui où il insiste pour que je remarque ce détail : « Regarde, je suis un petit gars de 8 ans qui vit dans un village à quatre heures de route de Montréal, un village où il n’y avait qu’un magasin général et tu vois, je porte un bracelet. D’où venait-il ? Comment se fait-il que j’avais la permission de le porter ? »

 

La photo, qui date des années 50, où j’ai principalement observé un petit garçon avec une chemise propre et un nœud papillon, est l’une des clés de sa méthode d’analyse offerte en conférences et en ateliers, et très justement titrée Je vêts bien. La photo constitue l’un des outils de connaissance de soi, des « empreintes de vie ». Luc Breton est formateur, animateur, conférencier, et ses recherches et son parcours légitimassent amplement son titre. Je devais rencontrer la bibitte.

« Je vous préviens, m’écrit-il, il faudra m’arrêter, je suis verbomoteur. » Pour ça, oui, il a de la jasette, mais aussi un solide bagage et des références infinies sur la signification profonde de nos choix vestimentaires. Sa vie entière le mena où il se trouve, en passant par de nombreux chemins de travers. « J’ai passé 35 ans dans le milieu de la mode, pas du côté noble du design, mais du côté payant, la promotion et la commercialisation. »

Puis, le pédagogue né enseigna dans les collèges et les écoles de mode jusqu’à une réévaluation de carrière qui le mena à suivre, au tournant des années 2000, une formation pour devenir intervenant en croissance personnelle.

Il précise aussitôt : « Chu pas un coach ni un thérapeute, j’ai vu tout de suite que je pouvais utiliser mon expérience pour créer un outil sous forme d’ateliers ou de conférences qui porteraient sur le rapport que nous entretenons avec le vêtement. Pas avec la mode, la mode, c’est du show, mais avec le vêtement, ça n’existait pas au Québec. »

Il s’est dit : « C’est ça que je veux faire. » Le sujet n’est pas documenté chez nous et Luc ira à Paris, plus précisément à l’école parisienne de La Gestalt, pour participer au stage Être et paraître. Puis, un peu plus tard : « Écoute bien, je ca-po-tais, j’ai rencontré la psychanalyste Marie-Louise Pierson, auteure du livre L’image de soi. » Luc m’instruit : « Savais-tu que Mme Pierson fut la dernière mannequin engagée pour défiler par Mme Chanel, de son vivant ? J’te l’dis ! » Après un stage avec madame, il fut autorisé à la représenter au Québec avec la méthode Lecture d’image.

Luc est une dynamo – « Je ne prends pas de café avant une conférence » –, un sage – « Je vends de la réflexion, de l’introspection, je ne donne pas de trucs, je tends des perches ». Et surtout, Luc est un stand-up comic qui s’ignore. Il faut l’entendre lorsqu’il se déclare exaspéré par les sempiternelles récriminations et faux-fuyants invoqués pour justifier que s’habiller soit si difficile. « J’entends tout le temps : ‘‘J’ai pas les moyens’’, ‘‘Y’a pas de service à la clientèle’’, ‘‘J’ai pas le corps qu’il faut’’. » Il répond, sans gants blancs, avec une palpable intolérance à la complaisance : « Y’a 2 % de corps parfaits, je comprends l’insatisfaction, passe à autre chose ! » Luc est à boutte d’entendre que les femmes voudraient projeter un style « décontracté », « naturel », « classique », « crédible ».

« Ça veut rien dire ! dit-il. Décontracté, c’est une attitude, pas un look. » Son approche est pourtant humaine : « Pour se réconcilier avec le vêtement, on doit pratiquer. » Il ajoute cette affirmation si vraie : « On n’a pas appris à se valoriser. »

Je jette un coup d’œil à sa photo professionnelle, où il se présente avec un complet bleu et une barbichette de psychanalyste, et à l’homme devant moi, barbe courte et sans veston. J’y vois toute sa passion à se transformer, s’habiller et aider les autres à se réconcilier avec leur image et, comme il le dit si bien, « à se donner du lousse ».

*Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.