Dans la farce de l’âge

Pour une rare fois, je suis le plus jeune d’un groupe. Mes voisins à la campagne ont entre 76 et 83 ans, vivent encore dans leur maison, font les courses, conduisent leur voiture et voyagent. Les projets se succèdent. Prenez un numéro, les agendas débordent.
Clémence, la cadette du groupe,  a déjà publié un premier recueil à 74 ans et planche sur son deuxième : un sujet tabou vu par une septuagénaire. Rédactrice et relationniste de profession, les mots, les phrases et le style littéraire meublent son univers. Je la surnomme Bella parce qu’elle porte la grâce des muses et l’élégance des belles de ce monde. Son teint basané accentué par sa chevelure plus que blanche me rappelle les italiennes du nord. « Mon p’tit Luc, quand écriras-tu ton livre? »; « Mon cher Luc, pourrais-je te lire avant ma mort? »; « Chéri, envoies-moi tes textes. »
Marie-Laure, la doyenne, plutôt rebelle et très créative, fume à la cachette pour éviter que ses amis la dénoncent au médecin. Prétextant une mémoire qui flanche, elle se dit obligée de retourner à l’épicerie quatre fois par jour et utilise son alibi pour griller une cloque. Je la soupçonne d’un passé extravagant et de romances hollywoodiennes. Glamour avant la lettre, je reconnais ses influences à la Greta Garbo et sa voix de fumeuse à la Jeanne Moreau. Elle nous attend anytime, scotch à la main pour une partie de bridge. Elle triche!
Mimi, l’énervée, est une vraie bombe. Atomique! Elle déjeune aux gâteaux au caramel Vachon,  trempés nonchalamment dans un bon café instantané Nescafé, double sucre. Elle a TOUJOURS raison. Plus d’une fois elle est partie avec la voiture de Marie-Laure qu’elle confondait avec la sienne à cause de la couleur. Pas de jeux de société pour elle. Ses passe-temps : le VTT de montagne l’été et la motoneige sur les lacs l’hiver. Puisque plus personne ne voulait l’accompagner, elle s’est munie d’un GPS qu’elle fera fonctionner un jour. À la limite d’une taille de lilliputienne, elle réussit grâce à son sens esthétique inné et malgré ses modestes moyens à être lookée  au goût du jour.
Tom, 80 ans bien sonnés, c’est l’homme, le dépanneur de ces dames. Une galerie à redresser pour l’une, un tuyau à colmater pour l’autre ou encore une famille d’écureuils à déloger de l’entre toit de sa jeune copine de 62 ans. Droit comme un piquet, mince comme un clou à finir, c’est au magasin Le Château qu’il renoue avec ses looks soixantehuitards.
Ici, dans mon cercle, on ne supporte pas de « ma belle p’tite madame » ou de « mon p’tit monsieur » qui infantilisent. Pas de tribunal du vieillissement, de la varice ou de la prostate. Pas de moyen-âge, ramone-âge, maquille-âge, sabot-âge ou truc-âge.
« Qu’est-ce qui fait donc chanter les p’tits vieillards? » Certainement pas  les petits pouding Laura Secord !

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