L’âge traumatise certaines personnes à la trentaine, d’autres à la cinquantaine alors que moi, c’est maintenant. J’aurai 65 ans dans quelques jours. Il n’y a pas d’âge pour s’arrêter, se questionner, se réaligner. Je fais le point à la mi-soixantaine. C’est beaucoup d’années 65, six décennies. On se lève un matin et vlan, c’est fait, on est là dans la soixantaine. Jeune soixantaine ou pas, who cares! Est-ce que continuer c’est s’accrocher? Est-ce qu’arrêter c’est abdiquer? Est-ce qu’en parler c’est radoter? Est-ce que je suis vieux? Je ne sais pas. Est-ce que je me sens vieux? Absolument pas. À quoi ai-je occupé toutes ces années?
L’âge est-il un concept ou une réalité? Un autre produit du marketing? Un statut social, un avis d’éviction pour faire place à « la relève »? Une assignation à résidence? Y a-t-il une différence entre vieillir et prendre de l’âge, avancer en âge et ressentir son âge?
Pour moi, ressentir mon âge est d’ordre physique. Les courbatures matinales, les genoux plus fragiles et moins dociles à mes exigences, des épuisements plus fréquents qui m’obligent à la sieste de l’après-midi, un peu de rhumatisme par-ci, un peu d’arthrite par-là, héritage familial. Des malaises physiques qui se présentent comme des invités qui sonnent à la porte, qui partent et qui reviennent sans invitation. Je me suis inquiété quelque temps pour mes pertes de mémoire craignant des symptômes d’Alzheimer puisque ma mère et ma marraine en sont décédées. Il ne s’agissait que d’oublis temporaires qui me faisaient échapper le nom d’une personne, le titre d’un film, la date d’un évènement. Quoi de plus amusant qu’essayer de deviner ce que les amis de mon âge, faute de trouver les mots justes, tentent de nous transmettre en gesticulant, en mimant une situation, en utilisant des onomatopées, des hyperboles, des grimaces? La charade quoi. Tant de choses à faire, à dire, à se remémorer, à ne pas oublier. Vive les autocollants sur le frigo.
L’expression « avancer en âge » résonne comme un poème et a une connotation de sagesse, de maturité. « Prendre de l’âge », quant à elle, symbolise la transmission du savoir, être le passeur de sa passion, de son expertise. Mais « vieillir » annonce le début de la fin. Qui souhaite être vieux? Encore moins faire vieux, avoir l’air vieux, faire son âge. Un grand-parent âgé c’est charmant, attendrissant, sinon qu’est-ce qu’on fait avec des vieux? Interdiction de voter après 70 ans, défense de conduire après 75 et quoi d’autre? Coupable de vieillesse.
Vieillir, un défaut? Une défaite? On a beau décrier que la vie suit son cours et que vieillir est naturel, telle n’est pas la réalité dans la société actuelle. On se doit de combattre le vieillissement comme on le fait avec la maladie. Avoir le courage de rester jeune. À 30 ou 40 ans, ces discours ne nous touchent pas; c’est trop loin, irréel, on ne vieillira pas, croit-on. Les seuls échos qui retentissent au sujet de l’âge avancé concernent la retraite. Aucune autre indication. Déjà, à la fin de la quarantaine, les gens nous questionnent sur le quand et le comment de notre retraite. En finir pour mieux vieillir.
Alors que suis-je si je ne suis pas vieux? Un vétéran? Un monsieur stylé d’un certain âge? Un mononcle coquet? Se définir, voilà toute la question et à tout âge. Mais se redéfinir implique de revoir les éléments de notre vie : la séduction, la coquetterie, l’amitié, la sexualité, la beauté, l’amour, le couple, le célibat, l’apparence, l’avenir. Ces aspects de notre vie ne s’éteignent pas avec l’âge mais se manifestent autrement. Je pense à cette jeune vendeuse dans un magasin à Sherbrooke qui m’a innocemment demandé « Qui cherchez-vous? » comme si je m’étais égaré et que je ne retrouvais plus mon chemin, tel le petit Poucet. Elle aurait dû m’aborder en s’informant de « ce que je cherchais », me traiter comme un client potentiel et m’offrir son aide. Ego blessé ou consommateur frustré? Se sentir exclu diminue l’importance que ressent un individu dans la société et lui donne l’impression qu’il est hors-jeu, marginalisé. Être ignoré est un sentiment profondément désagréable qui ramène à la surface les différents rejets vécus tout au long de notre histoire.
L’âgisme est un processus par lequel des personnes sont stéréotypées et discriminées en raison de leur âge et qui s’apparente à celui du racisme et du sexisme. (Dr Robert Butler, 1975) L’Association québécoise de gérontologie.
Mais « prendre de l’âge » a ceci de bien : une béatitude devant la vie, moins de barrières, de fausses gênes, de filtres, de pudeur, plus d’exhibition et de propos directs. Je m’identifie parfois à ces personnages de l’émission « Les détestables » et je crains bien sincèrement suivre leurs traces. En attendant, je me sauve en Amérique centrale célébrer cette nouvelle étape de ma vie et partager mon vécu avec les autres espèces menacées ou en voie de disparition.
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