Les préjugés, la discrimination et l’intimidation ont fait couler beaucoup d’encre et de larmes ces dernières années. Je me suis même demandé si mon implication dans le bien-être des gens concernant l’image corporelle n’avait pas altéré ma vision des choses et qu’en fin de compte, le discours sur le phénomène ne s’était pas trop emballé.
Mais après la lecture du dernier bouquin de Jean-François Amadieu, LA SOCIÉTÉ DU PARAÎTRE, Les beaux, les jeunes…et les autres, je me suis ravisé. Recherches et statistiques à l’appui, l’auteur fait le bilan des discriminations associées à un handicap, à l’état de santé, à la silhouette, à la taille, à l’âge et à la couleur. Toutes se traduisent sous forme d’injustices au quotidien.
La prime à la beauté, à la jeunesse, à la bonne santé, à l’érotique, au maquillage et autre, influence les choix des recruteurs, les relations de travail et évidemment les relations interpersonnelles.
Le phénomène narcissique est amplifié par l’utilisation des réseaux sociaux et s’est infiltré dans presque tous les aspects de nos vies. Être beau, mince, performant, sportif; avoir de beaux vêtements, une belle poitrine, des traits parfaits, du beau, du beau, que du beau. Les produits de beauté ont fait place aux applications d’embellissement des photos. Si vous n’êtes pas beaux, point de salut. Il est préférable d’habiter la planète du lisse, une peau lisse, une pensée lisse et un comportement lisse.
Selon l’auteur, une belle poitrine plutôt qu’une belle personnalité serait le nouveau fantasme des hommes. Du fait que l’on se marie tardivement, que les relations soient courtes et nombreuses, sans engagement et sans affection, les pousse à focaliser sur le physique d’une possible conquête en reléguant les autres aspects.
«Le cadre dynamique aura pris des couleurs en golfant ou en faisant du jogging : c’est rassurant pour les employeurs, il est en pleine forme ».
LES DOMMAGES COLLATÉRAUX
Je m’intéresse aux dommages collatéraux de ces images qui empoisonnent la société. Les effets dévastateurs sont insidieux et s’infiltrent dans nos derniers retranchements. On rame à contre sens. L’image corporelle est un château de cartes.
À titre d’exemple, Amadieu, qui est impliqué dans l’Observatoire des discriminations, université de Paris-l-Panthéon-Sorbonne, affirme que les utilisateurs de Facebook sont plus insatisfaits de leur corps et ont plus de désordres alimentaires que ceux qui ne sont pas sur ce réseau social….ils sont aussi plus préoccupés par leur silhouette et veulent, plus que les autres, être minces…Non seulement on est obsédé par son apparence, mais les images des autres rendent jaloux.
…aux États-Unis, une femme qui pèse trente kilos de plus qu’une autre gagne 9% de moins, ce qui correspond à une année et demie d’études ou bien à deux années d’expérience professionnelle.
Les hommes ne sont pas épargnés par les méfaits des apparences : «…les jeunes hommes aimeraient avoir 13 kilos de muscles supplémentaires et sont convaincus que les femmes apprécient les hommes plus musqués qu’eux.»
«Nul n’échappe désormais à sa responsabilité face à l’image qu’il donne aux autres, il vaut ce que vaut son image». David LeBreton, Éthique de la mode féminine.
Et c’est là que le bât blesse. Non seulement sommes-nous assaillis par ces «winners» qui font partie du groupe sélect des beaux, jeunes et minces mais selon Danielle Bourque, auteure de À 10 kilos du bonheur, que j’ai consultée avant d’écrire mon blogue, «Une nouvelle norme s’est installée avec le livre paru en 1991: il faut s’accepter, créant un étage de plus. On ne peut plus nommer que cela est dur. On est censé être au-dessus de tout cela.»
Marie-Claude Élie-Morin dans son bouquin LA DICTATURE DU BONHEUR, corrobore ces dires.
«Le bonheur est devenu un impératif, au même titre que la minceur et le succès professionnel. Santé physique, équilibre mental, vie de couple, finances : on met constamment en avant la nécessité d’avoir toujours une attitude volontaire et «positive », parfois au mépris de la réalité.»
Résultat : la culpabilité d’avoir failli à la tâche, de ne pas avoir réussi à mâter le corps, crée un sentiment d’échec, de dépréciation de soi. La comparaison aux images sans défaut qui nous sont offertes et qu’on envie donne l’impression d’avoir perdu le contrôle de sa vie et crée même l’humiliation. Cette forme de défaite s’associe souvent à la notion de valeur. Ai-je moins de valeur marchande aux yeux de mes clients, une cote qui rapetisse auprès de mes amis ou est-ce seulement à mes propres yeux que ma valeur a diminué? Et que dire de l’insatisfaction permanente engendré par ces questionnements qui attaquent de plein fouet notre estime personnelle et ébranlent notre confiance, nous plongeant parfois dans une faillite morale.
On ose se demander ensuite pourquoi tant des gens acceptent mal de vieillir, que d’autres obsèdent maladivement sur leur poids, que la demande pour des chirurgies esthétiques ne cesse d’augmenter, que l’estime et la confiance en soi sont en voie de devenir une industrie?
Suite à mon blogue sur le phénomène Safia Nolin le 2 novembre dernier, quelqu’un m’a acheminé ce message : «Quel perte de temps…il y a tellement de choses dont on devrait s’indigner……..la pauvreté…..la violence…l’état de notre planète…….et Safia fait la manchette….??? est-ce que c’est juste moi ou……»
Ce à quoi j’ai répondu : «Ce que vous affirmez est bien mal comprendre la détresse qui habite beaucoup de gens face à leur image visuelle et corporelle. Justement, à force de se faire répéter qu’il y a pire que cela dans la vie, les gens se réfugient dans le silence croyant qu’ils sont “anormaux” à cause de leurs inquiétudes. Si on pouvait parler librement de notre mal-être relié à l’image sans se faire rabrouer ou pire encore toujours ressasser la même vieille rhétorique de l’être et le paraître. Cela aussi m’indigne et je ne suis pas pour autant insensible à la pauvreté et la misère dans le monde. Souffrir dans son image est aussi une forme de souffrance ainsi que la pauvreté de l’âme. Mais je comprends que le dossier Safia prend beaucoup de place».
Par les temps qui courent, il faut être bigrement équilibré pour ne pas se sous-évaluer à travers un miroir déformant et céder à ce vacarme qui nous empêche de nous concentrer sur nos atouts et qui nourrit l’image négative que nous avons de nous-mêmes? Ne jamais oublier cette question, tirée de la Psychanalyse jungienne, «Qui es-tu quand personne ne te regarde? »
LA RÉSISTANCE S’ORGANISE
Michèle Marin, Styliste pour femmes et formatrice, dessert une clientèle féminine dans la soixantaine et constate un changement dans la relation au corps et au vêtement chez sa clientèle. «Les femmes veulent mieux se connaître, veulent être bien et cela n’est pas un phénomène passager, un leurre». Selon elle, les gens ne voudront pas retourner en arrière. Les femmes ont changé leur façon de voir. La mentalité a évolué parce qu’on propose d’autres modèles qui leur plaisent. Elles ne veulent plus de ces modèles stéréotypés.» Mon style peut-être charmant même si je ne suis pas la beauté de l’heure, affirment ses clientes.
Anne Richard qui a publié en décembre dernier DU MIROIR À L’ÂME, La quête de l’amour de soi, propose un programme : faire la paix avec votre corps-miroir en 15 semaines.
Quant à elle, Youmna Tarazi, Experte en cohérence identitaire et image de soi”, offre à Paris une formation « Votre garde-robe de la peau à l’âme. » Elle a aussi monté un spectacle sur les habits, l’identité et la mémoire du corps, Pourquoi les anges s’habillent en blanc?, où elle se produit seule sur scène.
Mon atelier «Je vêts bien» s’inscrit dans cette démarche de comprendre le lien que nous entretenons entre notre corps, notre vêtement et notre bien-être.
«Il était inévitable que le culte de la beauté, de la minceur ou de la jeunesse finisse par provoquer des refus et des réactions dans l’opinion publique» Jean-François Amadieu.
Là-dessus, devrais-je vous souhaiter une bonne ou une belle année?
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crédit photo: Ebay