Le retour des zombies chez Saint Laurent

zombies censuré

Depuis 15 ans, tant lors de mes conférences que dans mes ateliers, la question des mannequins trop minces ressurgit. Cette situation, bien que réelle, occupe souvent beaucoup de place dans mes communications et fait ombrage à d’autres sujets que je propose. Pour certaines participantes à mes ateliers, elle devient la cause première de toutes leurs frustrations ce qui m’empêche d’explorer d’autres sources reliées aux malaises corporels et vestimentaires.

Par solidarité aux créateurs de mode, j’ai longtemps voulu expliquer le cirque des défilés de mode en affirmant que ce n’était que du show, un outil de promotion au même titre que le salon de l’auto ou de l’habitation. Une tendance vestimentaire, comme un texte, doit parfois être extravagante, presque caricaturale pour qu’on en retienne l’essence.

Mais voilà qu’on rajoute du sel dans la plaie. Le défilé de la maison de couture Saint Laurent offert par Hedi Slimane pour la Fashion Week à Paris dernièrement m’a consterné. Aujourd’hui, je ne défends plus l’indéfendable. Je n’entends plus à rire, ni à justifier ces photos de mannequins démesurément maigres.

Ce phénomène des filles sous-alimentées est un cauchemar récurrent. Il arrive et repart par vagues. Alors que je croyais la partie, non pas gagnée, mais en nette progression dans les médias, le retour d’une maigreur très affichée lors de cet événement hautement médiatisé nous ramène des années en arrière. Alors que tant de gens déploient de l’énergie pour promouvoir la diversité corporelle, ces zombies réapparaissent et nous frappent en bas de la ceinture.

Le débat n’est pas récent; il a écorché au passage des boucs émissaires qu’on cherchait à culpabiliser. Qu’il suffise de penser à cette ancienne propriétaire d’agence de mannequins à Montréal, recyclée en prof de yoga, qui reprend cette infamie entendue en France : « Les créateurs de mode privilégient les mannequins minces parce qu’ils leur rappellent les corps des jeunes hommes. » Ou cette autre qui en rajoute : « Les designers sont des gais qui n’aiment pas les femmes. » Soyons rassurés, nos créateurs d’ici n’ont pas le contrôle de l’industrie ni cet esprit tordu.

Mais que se passe-t-il donc avec la place des femmes dans la société ces derniers temps? Marcel Aubut du Comité olympique canadien qui admet que le taponnage des popotins est d’une autre époque, des femmes qui craignent de s’associer au féminisme pour des raisons similaires… Pourquoi insinuer « une autre époque »? J’ai l’impression en ce moment qu’on est plutôt à cette époque pas si lointaine, celle où on parlait du chemin à parcourir pour la libération des femmes, où on dénonçait les modèles dégradants pour les représenter.

Certains diront que j’exagère et que la situation s’est améliorée, que c’est « moins pire » qu’avant. J’entends le même discours pour ce qui est de l’acceptation des gais par la société. Belle façon de neutraliser le débat, de l’étouffer, comme on sait si bien le faire ici. En parler ne veut pas dire le régler. Peut-être est-ce ma propre marginalité qui me fait tant sursauter?

Quand un animal est décharné à ce point, tels les mannequins du défilé de Saint Laurent, on porte plainte à la Société de la protection des animaux, mieux encore, on le signale à la police plutôt que de le glorifier en première page des magazines de mode, ces bibles du bon goût.

Alors qu’on recherche des modèles positifs pour les jeunes filles, qu’on parle d’égalité homme femme, qu’on s’efforce de redonner confiance et espoir aux femmes qui ont un rapport trouble avec le vêtement, l’alimentation, la beauté, on tire à des milliers d’exemplaires des photos de femme-enfant, femme-pitoune, femme soumise, femme-agace, la folle du shopping, l’obsédée du ménage, la chialeuse qui se plaint de la situation de la femme. Misère!

Aujourd’hui j’ai un goût amer même si la chasse aux sorcières n’est plus ma tasse de thé. Je m’intéresse davantage aux dommages collatéraux de ces images qui empoisonnent la société. Ils sont insidieux et s’infiltrent à nouveau dans nos retranchements. Une fois de plus, le contact avec le consommateur se brouille. On rame à contre sens. L’image corporelle est un château de cartes.

Comment pourrais-je reprocher aux femmes qui assistent à mes conférences de ne pas soulever ce malaise alors qu’il m’affecte autant qu’elles? Il faut redoubler de vigilance, ne pas baisser les bras ni abandonner et surtout ne pas tomber dans le piège que le vêtement n’est que le prolongement de cette image négative de la femme.

La mode, le glamour et le marketing ont éloigné le vêtement de son sens véritable. La mode fait du show, le vêtement fait du sens. Le vêtement est un outil d’émancipation, d’éveil et de révélation de soi alors que la mode, dans sa structure commerciale, peut être source d’aliénation.
La mise en marché de la mode est un cirque médiatique basé sur des principes de vente et de marketing. Vendre un corps ou vendre un char repose sur les mêmes stratégies : acquérir ce bien symbolisant un idéal pour atteindre la réussite et m’accomplir.

Voir mes articles sur le Huffington Post

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