Le look n’est pas un sandwich

Je me dirige vers Montréal en voiture, le temps est magnifique; presque personne sur la route. Le chien et le chat dorment au son du moteur dans leur cage respective, face au soleil. Il ne manque  que des ailes à mon bolide pour sentir plus de liberté. La morosité de l’été pluvieux est déjà derrière moi.  Et si j’ajoutais de la musique pour célébrer ce mois de septembre ensoleillé? Mauvaise idée! À la radio, une chanson démodée me replonge 30 ans en arrière, ravive un lointain souvenir, le cœur me serre et brutalement un sentiment de mélancolie m’habite. Une journée froide et pluvieuse de novembre n’aurait pas pire effet.

Nous sommes tous habités par des sentiments et des émotions qui surgissent selon les gens ou les circonstances qui se présentent à nous. Être prisonnier de la circulation sur un pont pendant des heures stimule notre impatience; un enfant en panique perdu dans un parc d’attraction fait  remonter à la surface notre propre abandon; une journée d’été écrasante qui bat des records d’indice d’humidité ressuscite notre envie de marcher dans la neige à -30oC et l’hiver, tout à coup, devient notre saison préférée.

Ainsi en est-il avec le vêtement. L’image corporelle est la perception que nous avons de notre corps, l’image visuelle est ce que nous offrons en lecture à nos vis-à-vis alors que l’image sensorielle, elle, correspond à nos sensations. Comment vous sentiez-vous ce matin devant la glace? Dynamique? Effacé? Combatif? Écrasé? Sensuel? Découragé de votre mine fade sans éclat?  Peu importe, vous devez traverser cette journée, vaquer à vos occupations, vous présenter au boulot, bref, composer avec cette énergie qui vous porte ou au contraire qui vous exaspère. Dans ses fonctions, le vêtement peut devenir un outil, un allié pour palier à nos manques ou mettre en évidence une sensation déjà bien installée dès le lever.

« Si notre humeur influence nos tenues, le tissu influence nos pensées. Quels qu’ils soient, les vêtements éveillent en nous des comportements qui sommeillent. Si je porte du fluide et du flou, cela va réveiller en moi la souplesse, la légèreté. Si j’enfile un vêtement sévère, c’est ma rigidité qui s’éveille alors. Le vêtement fait vivre tour à tour des parties de nous-mêmes ». Aline Dagut, École parisienne de la Gestalt.

Le corps, le senti et le visuel s’imbriquent l’un dans l’autre. Le look n’est pas un sandwich où nos sensations sont prises entre le corps et le vêtement comme une tranche de tomate entre deux portions de pain. La fusion entre l’état d’esprit et l’image qu’on désire projeter est la base de notre condition quotidienne : sévère et coincé dans son armure hier, chef de file et tête de chef aujourd’hui, sensuelle et ultra féminine demain. Quoi qu’en pensent les clercs du style et les tyrans du « il faut être à la hauteur », l’humain n’est pas un concept mais un mélange de joie, de peur, d’inquiétude, de collégialité, d’humour. Le vêtement ne fait que le révéler.


Madame LeGros et monsieur Petit

Exaspérée par le froid sibérien qui la confine à la maison, Fabienne LeGros se lève de table, dénoue son tablier et comme si l’archange Gabriel venait de la piquer, invite son mari à la suivre. « Viens, Damien, on va aller faire un p’tit tour au village ». Elle en profitera pour faire ses courses et dénicher un p’tit cadeau pour sa belle-sœur qui lui a rendu un p’tit service. Petit budget oblige, elle ira au petit magasin de la rue Principale.
Damien Petit, le mari accompagnateur, ira pendant ce temps  acheter du p’tit bois d’allumage pour le foyer et retrouvera ensuite ses amis qui  sirotent un p’tit café au restaurant « Le petit Paris » en attendant leurs femmes eux aussi.
Mauvaise nouvelle, la charmante serveuse Émilie qui connaît si bien les caprices de ses clients, quitte son emploi. Elle s’est trouvé une grosse job avec un gros salaire. Elle n’est pas grosse dans ses petits souliers, parce qu’en ville, elle devra croiser le fer avec de grosses pointures.
Pendant que ses clients admirateurs essaient d’imaginer qui la remplacera, Fabienne LeGros entre en coup de vent dans le resto et s’adresse directement à son homme, négligeant de saluer le groupe. « Damien, as-tu nourri le P’tit Menou avant de partir? ». « Parle-moi pas de manger, j’ai une p’tite fringale » lui répond du tac au tac son chauffeur privé. La ruse est bonne, Damien, jeune baby boomer fringant à la testostérone bien active, veut profiter le plus possible de la présence de la belle Émilie à la chevelure couleur feu. Depuis qu’ils ont entreposé leurs motos pour l’hiver, le couple LeGros-Petit est en manque d’adrénaline et d’inspiration affective.
Mais la jeune femme a la tête ailleurs. Elle profite de sa dernière semaine de boulot pour expérimenter des looks et faire des tests de coordonnées vestimentaires devant public. Exit les jeans et les pulls déformants. Au rencart l’abondante coiffure bouclée qui nécessite temps, produits et entretien.
Elle tente une petite frange sur le front, ce qui symboliquement  traduit une certaine gêne et opte pour un maquillage moins subtil, du vernis à ongles tendance, un chemisier échancré,  une jupe fuselée décorée de sa grosse ceinture griffée et le tout bien groundé dans ses belles petites bottes Richelieu. Vendredi, pour ses adieux, elle portera sa p’tite robe noire qui la met tant en valeur et lui confère un air taquin à la Audrey Tautou. Elle en profitera pour souligner son cou sans ride de son p’tit collier de fausses perles offert comme cadeau de gratitude par Marianne sa patronne, tapie derrière le comptoir et qui réprime une grimace devant tant de changement.
Morale de cette histoire : le look des uns fait le bonheur des autres.

« Un autre p’tit café monsieur Petit ? »

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