MON IMPLICATION AU JOURNAL DE RUE DE L’ESTRIE
Fondé en 1999, le Journal de rue de l’Estrie est un organisme à but non lucratif. Sa mission : la réintégration progressive à l’emploi ou la remise en action de personnes en situation de précarité, d’exclusion ou vivant des difficultés psychosociales. Il incarne une solution directe et concrète pour lutter contre les inégalités et favoriser l’inclusion sociale.
En plus d’écrire des chroniques régulières pour le Journal de l’Estrie, je suis membre du Conseil d’Administration depuis juin 2023.
À la sortie de mon roman Le cimetière des aveux en avril 2023, je me suis engagé à verser 2$ au Journal de rue de l’Estrie pour chaque livre vendu. Ancien alcoolique toxicomane, sobre depuis 38 ans, cette cause me tient à cœur et je crois qu’aujourd’hui encore, les tabous sur le sujet sont tenaces.
Bonne lecture
Luc Breton, auteur
JE VÊTS BIEN
Le vêtement est tentaculaire et se retrouve dans toutes les circonstances de notre vie : au travail, en vacances, dans les jeux de séduction, il camoufle ou met de l’avant notre corps, sans oublier les émotions et les sentiments qu’il suscite. De notre naissance à notre mort nous serons en contact direct avec cette seconde peau et pourtant, notre vie durant, rarement aurons-nous la chance de voir le vêtement sous un autre angle que celui de l’esthétisme. Peu de tribunes existent pour partager nos questionnements ou notre inconfort face à l’impact des vêtements que nous portons. Est-il plus difficile de s’aimer que de s’habiller ? Les chroniques sur la mode font davantage l’apologie des trucs pour bien se vêtir (l’ingénierie vestimentaire) que de la relation choix vestimentaires/image/estime/ corps. Mon travail d’Analyste en comportements vestimentaires consiste à créer ce lien entre l’humain et le vêtement.
Pourquoi a-t-on évacué l’aspect humain dans le discours sur l’apparence ? Parce que le vêtement, inévitablement, est associé à la mode souvent considérée comme un phénomène inutile, secondaire, narcissique, au service de l’ego. Mais voilà que le vêtement n’est pas qu’objet de mode. La mode s’expose, le vêtement s’explique. Notre société accuse un déficit de compréhension du vêtement et l’éducation vestimentaire n’a jamais été reconnue comme une discipline pouvant éclairer les citoyens sur leur rapport au vêtement. Se réconcilier avec son apparence c’est aussi se réconcilier avec son corps, son âge et augmenter le niveau de contentement de son image visuelle.
Le vêtement est une interface entre l’être et le paraître, mais des décennies de culture judéo-chrétienne l’ont cloué au pilori en l’associant au gros méchant paraître, frère jumeau de l’orgueil, péché capital. Le vieux fond catholique n’est jamais bien loin. Pour toute une génération, plus jeune, le vêtement n’est également que « paraître », sous une autre forme que la génération précédente, comme si jouer la carte d’être authentique les exonérait de l’équation être et paraître. Les deux sont indissociables. Vouloir bien « paraître » en niant ou en diminuant son intérêt pour le vêtement équivaut à une couleuvre qui s’avale la queue.
Le vêtement est une dimension de soi, un révélateur de qui nous sommes.
- Quelles sont les cases correspondant le plus à votre présente réalité ?
- Ces choix ont-ils bougés depuis un an ? Dans l’affirmative, quels événements ont provoqué ces changements ?
POUR VOUS, S’HABILLER C’EST…
□ imiter…________________________
□ étonner…________________________
□ s’exprimer…__________________________
□ parler de soi…__________________________
□ se démarquer…___________________________
□ impressionner…____________________________
□ donner son avis…______________________________
□ prendre sa place…______________________________
□ provoquer les autres…____________________________
□ éviter de parler de soi…___________________________
□ rendre le moi visible…______________________________
□ exprimer des émotions…_____________________________
□ être victime de la mode…_____________________________
□ afficher son statut social…______________________________
□ se protéger des éléments…______________________________
□ signifier son appartenance…_____________________________
□ mettre en valeur son physique…___________________________
□ mettre en valeur sa personnalité…__________________________
□ se mouler socialement ou se différencier…______________________
Luc Breton
Analyste en comportements vestimentaires
Luc Breton
janvier-février 2023
ENTRE VACARME ET MURMURE
Porter un vêtement, c’est exprimer visuellement notre état d’être, une façon de nous positionner dans nos activités sociales, professionnelles et personnelles. Nos tenues signent notre fonds de commerce et contribuent grandement à notre mise en marché. Le vêtement est un puissant outil de communication, il est message. Mais avons-nous pleinement le contrôle de ce message ? Puisque la tenue vestimentaire est une communication avec autrui, que souhaitons-nous communiquer, mettre en lumière ? La perfection, la réussite, la séduction, l’adhésion à l’air du temps, l’indifférence, la rébellion, etc.
Le corps parle, le vêtement est sa langue
Eugène Lemoine-Luccioni
Le vêtement a son propre langage avec ses subtilités et ses mots à double sens. Il peut aussi brouiller les pistes à l’occasion, voire mentir. J’ai créé tout un émoi quand j’ai arrêté de consommer alcool et drogues en 1984. L’image que je projetais alors était celle d’un trentenaire ambitieux en pleine ascension professionnelle, au style vestimentaire recherché et assumé. Du haut de mes 115 livres je bravais toutes les tempêtes, en apparence, alors que je me rétablissais d’une des pires périodes de ma vie. Mes tenues cachaient mon désarroi, ma honte d’avoir échouer en affaires quelques années auparavant, mon manque de confiance et mon estime au ras les pâquerettes. Le vêtement a été complice de ce leurre. Je jouais cette comédie en toute conscience. Mais cette fausse piste m’a bien servi. Elle m’a permis de découvrir ma vraie nature, mon vrai langage vestimentaire, celui qui me définit et par lequel je m’exprime. Je ne suis plus reclus dans mon style vestimentaire ni prisonnier, je l’habite avec assurance et conviction. Développer et explorer notre signature vestimentaire met un baume sur la perception erronée de notre image et diminue l’importance que nous accordons au regard des autres.
Que notre tenue vestimentaire soit aussi bruyante que les chutes du Niagara ou à peine audible comme un ruisseau sous les glaces de l’hiver, elle est sujet à interprétation.
« Lire » la tenue d’une personne se compare à « lire » un journal. Certaines personnes ne regarderont que les grands titres, alors que d’autres le parcourront intégralement. Quelques-unes aussi liront entre les lignes, et d’autres le qualifieront de brûlot. Ainsi en est-il de notre image visuelle.
Et pour vous, s’habiller c’est…
□ imiter…________________________
□ étonner…________________________
□ s’exprimer…__________________________
□ parler de soi…__________________________
□ se démarquer…___________________________
□ impressionner…____________________________
□ donner son avis…______________________________
□ prendre sa place…______________________________
□ provoquer les autres…____________________________
□ éviter de parler de soi…___________________________
□ rendre le moi visible…______________________________
□ exprimer des émotions…_____________________________
□ être victime de la mode…_____________________________
□ afficher son statut social…______________________________
□ se protéger des éléments…______________________________
□ signifier son appartenance…_____________________________
□ mettre en valeur son physique…___________________________
□ mettre en valeur sa personnalité…__________________________
□ se mouler socialement ou se différencier…______________________
Luc Breton
mars-avril 2023
À CHAQUE BLESSURE, SA PELURE
-Chérie, de quoi j’ai l’air, demande Nathalie à son amoureux ?
– Tu as l’air de ça, répond-il, embêté et tentant d’esquiver l’éternelle question.
-Ça quoi, insiste Nathalie ?
-Tu es parfaite, renchérit-il.
Sceptique, Nathalie essaie une autre tenue et enfile son coton ouaté, ses jeans troués aux genoux et ses bottillons rouges. Elle fait la moue devant le miroir et expire profondément, découragée. À 45 ans, elle se demande si elle est trop ronde pour ce type de jean ajusté, trop vieille pour chausser des bottillons de couleur, trop courte pour un ouaté qui semble l’écraser. Serait-elle condamnée à être dans l’ombre, à être quelconque ?
Ses amies, bonzes du bien-être, lui rappellent sans cesse que c’est la beauté intérieure qui compte et qu’elle doit pratiquer le lâcher-prise. Dans son for intérieur, elle sait très bien que pour être bien dans son vêtement, elle doit être bien avec elle-même. Et qu’on lui fiche la paix avec le sacro-saint culte du confort. « Le confort physique ne m’apporte pas le confort moral, ni psychique. » Elle en a marre de ces conseils qui pullulent sur l’apparence. Pourquoi son collègue de travail, Philippe, est-il toujours bien mis, audacieux dans son style vestimentaire, à l’aise ?
Parce que Philippe a grandi dans un milieu où l’affirmation de soi et l’exploration vestimentaire étaient valorisées. Et aussi parce que Philippe est un homme et que les hommes subissent généralement moins de pression que les femmes sur leur apparence. Nous ne sommes pas tous égaux devant la gestion de notre image. Selon Jacques Salomé, psychosociologue, les empreintes se divisent en deux familles principales : celles qui autorisent, confirment, inscrivent une liberté d’être chez l’enfant, elles donnent un ancrage solide à la confiance et à l’estime qu’il a en lui-même. Et il y a les empreintes qui jugent, obligent, voire interdisent, sèment des doutes, des sentiments parasitaires d’angoisse, voir des blocages qui jalonneront toute la vie de l’enfant. »
Par exemple, y avait-il dans votre famille un « projet parental », c’est-à-dire un code silencieux à respecter, une ligne à ne pas franchir (réussir à tout prix, sauver les apparences, ne pas faire de vagues, etc.) ?
Comment considérait-on le vêtement dans votre famille ?
Les interdits venaient de quel parent ?
Sous quel angle parlait-on de la beauté, la coquetterie, la féminité, le corps, la
séduction ? Ces sujets étaient-ils plutôt dérangeants ?
L’opinion de l’entourage importait-il aux parents ?
La mémoire vestimentaire est une piste à envisager pour comprendre certains comportements vestimentaires. Certaines personnes portent davantage leur histoire que leurs vêtements.
Tout n’est pas rose pour autant pour Philippe qui moissonne le plus de regards possibles de ses collègues comme si chaque regard était un trophée. Quand le vêtement supplante les échanges verbaux et parle à notre place, nous perdons un certain sens de la communication.
Si Nathalie est en deçà de son potentiel vestimentaire et vit à l’occasion une détresse vestimentaire, Philippe sait que briller implique de devoir supporter les remarques de ceux qu’il éblouit. Nathalie est murée dans ses hésitations et Philippe est esclave de son image. Auto destruction pour elle, auto médication par le vêtement pour lui.
« De quoi ai-je l’air ? » est l’une des premières questions que se posent les gens quand ils se regardent dans le miroir le matin ou lors d’une sortie. « Je n’ai rien à me mettre » et « Je ne trouve rien dans les magasins » suivent de près dans la listes de insécurités vécues quant à son apparence.
Non, tous non pas ces questionnements, mais la plupart d’entre nous souhaiterions tant avoir une confirmation de l’effet que nous produisons sur les autres. Ce regard de l’autre est un carburant naturel qui aide à l’appréciation de soi ou nuit à notre estime personnelle.
Les incidences dans nos vies à ne pas être satisfaits de qui nous sommes ou à être sans cesse en représentation sont pernicieuses. Nous sommes réducteurs de ces effets dans nos vies tant sociales que professionnelles. Nous souhaitons l’approbation des autres car souvent nous avons besoin d’être rassuré dans nos choix. Autrement dit, les autres, en validant nos styles, confirment qu’ils nous aiment (encore), qu’ils nous incluent dans leur clan. Et par conséquent, nous sommes soulagés et libérons certaines tensions.
Ce sabotage alimenté par les méandres de nos perceptions et de nos idées trouve en partie sa source dans nos blessures. À chaque blessure, sa pelure.
Luc Breton
mai-juin 2023