Dans le cadre de mon travail, je donne beaucoup de conférences sur les habitudes et les comportements vestimentaires des gens. J’explique clairement que je m’intéresse à l’aspect humain du vêtement et non à son point de vue esthétique, stylistique et marketing. J’amène alors les participantes à une prise de conscience qui leur permet d’identifier les obstacles qu’elles mettent inconsciemment sur leur route et qui compliquent leur épanouissement vestimentaire.
Dernièrement, je m’adressais à un groupe de spécialistes dans le cadre d’un colloque sur l’apprentissage et la formation sur le web. J’étais franchement impressionné d’entendre toutes ces données sur le futur, l’avenir des méthodes de formation et les outils sur l’intelligence artificielle créés par les chercheurs. J’étais davantage ébranlé de constater l’écart qui existe entre les avancées de la technologie et le peu d’information disponible encore aujourd’hui sur la dynamique qu’un individu entretient avec son vêtement. Comment d’un côté peut-on se projeter dans le futur et développer autant d’expertise sur «demain» et d’un autre côté être incapable de résoudre «aujourd’hui» la conjoncture du manque d’estime et de confiance face à l’apparence auxquelles sont confrontés quotidiennement tant de gens ? Comment se fait-il que le vêtement participe à notre vie de la naissance jusqu’à la mort et que presque personne, durant toutes ces années, ne nous enseigne à dialoguer avec cette deuxième peau qu’est le vêtement?
Mon discours se situe à des années-lumière des faiseurs d’image et de ceux qui ne voient dans le vêtement qu’artifice et caprice de l’ego. Il n’est donc pas surprenant de constater que les gens plutôt que de pratiquer l’introspection quand survient un conflit dans leur relation au vêtement se tournent vers les réponses toutes faites, les trucs, les «à faire» et «à ne pas faire» jusqu’à ce que la prochaine crise identitaire et vestimentaire survienne. On tourne en rond.
À preuve, après cette conférence dont je faisais mention précédemment, plusieurs participantes sont venues à ma rencontre. Toutes leurs questions, sans exception, sous-entendaient des réponses formatées et des solutions faciles à appliquer, non compromettantes.
«N’oublions pas que nos manières d’être face au vêtement se rapprochent curieusement de nos comportements face aux autres domaines de nos vies. Le vêtement est un moyen créatif de s’observer et de s’émanciper.» C’est ainsi que je terminais ma première chronique du 7 novembre pour Les Radieuses :
En voici quelques exemples.
LE BESOIN DE VALIDER- Le vêtement approbation
Une femme dans la fine trentaine, plutôt timide, toute de blanc vêtue sur peau bronzée artificiellement, me demande mon avis sur son look. «Je ne fais pas de stylisme n’y d’évaluation esthétique» lui dis-je. « Mais j’aimerais bien savoir ce que vous en pensez de votre tenue ». SILENCE. «Vous vous adressez à l’homme ou au spécialiste?» MALAISE.
Cette femme veut être confortée dans ses choix et s’assurer qu’elle plaît, mais pense que tout cela viendra de l’extérieur, d’un spécialiste, cette panacée des temps modernes.
COMMUNIQUER PAR LA COULEUR- Le vêtement mortifère
Derrière cette participante, une autre femme, flegmatique, attend pour me parler. Même scénario, «J’ai adoré vous écouter, mais…»
-Je suis toujours habillée en noir, vous trouvez cela normal vous?
Moi -vous, vous en pensez quoi? Est-ce votre marque de commerce?
-Des fois je mets une touche de couleur, les gens au bureau applaudissent.
Moi -qu’est-ce qui vous dérange dans le fait de porter du noir? Pensez-vous que cela cache quelque chose? Procédez-vous à l’identique dans d’autres domaines
de votre vie? Par exemple, votre maison est-elle monochrome comme vos choix vestimentaires?
Je n’ose allez plus loin, faute de temps, mais je brûle d’envie de lui demander si le vêtement noir est un vêtement d’opinion pour elle ou simplement un facilitateur, un vêtement sécurité.
SPORT-CONFORT-RÉCONFORT- Le vêtement trompe-l’œil
Une toute petite dame à la tempe parcheminée, cachée derrière la femme en noir surgit. Si menue que je ne l’avais pas aperçue. «Monsieur, me lance-t-elle d’un ton inquisiteur, vous n’avez pas parlé du confort»
Moi- qu’est-ce que vous aimeriez savoir sur le confort madame?
«Rien! Je trouve que le confort est plus important que la mode»
Moi- je n’ai pas parlé de la mode madame. Qu’est-ce que le confort pour vous?
«C’est être bien, à l’aise.»
Moi- cela n’enlève rien à la mode, vous ne pensez pas? Tous les vêtements peuvent produire cet effet.
«Non-monsieur! Les vêtements à la mode sont faits pour les jeunes. On est trop pognés dedans. Ça prend des vêtements de sport.» Quel prosélytisme, me dis-je.
Cette dame essaie de me convaincre que vieillir n’est pas synonyme de manque de vitalité et son vêtement placébo lui permet de penser qu’en revêtant une tenue de jogging ou de marche nordique avec ses bâtons elle ne projettera pas l’image d’une femme vieillissante, mais l’image guillerette d’une personne qui défie le temps. Elle confond confort d’un vêtement à réconfort du regard positif de l’autre. Confort physique, confort moral.
LE FIN MOT DE L’HISTOIRE
Qu’est-ce qui est le plus exigeant, choisir une tenue ou s’inquiéter à savoir si elle plaira? Qu’est-ce que le confort si ce n’est l’absence de jugement et de commentaires sur nos choix vestimentaires davantage que sur la coupe et la
matière d’un vêtement? De là toute la différence entre «porter» et «subir» un vêtement.
Pour vos sorties de Noël, que porterez-vous? De l’affirmation, de la couleur, de la retenue, de la contestation, de la soumission, de la joie, de l’indifférence.
La nouvelle année vous donnera peut-être l’opportunité de revoir vos états d’âme face à votre signature vestimentaire.