Le Gala de l’ADISQ, la grande messe de la musique, a été prise dans la circulation de l’autoroute des apparences dimanche soir à Radio-Canada. «Plus ça change, plus c’est pareil», répète-t-on souvent, mais cette fois-ci, la mesquinerie et la méchanceté méritent le trophée de la soirée. Je parle bien entendu de tout ce tollé autour du look de Safia Nolin, découverte de l’année à ce gala.
Difficile parfois de décrypter les commentaires des gens. Mario Pelchat qui portait un veston du créateur québécois Gilbert Dufour il y a des décennies de cela lors d’un gala semblable, avait été ridiculisé à cause des motifs atypiques de ce veston. Comment le rossignol du Saguenay (ou du Lac), gentleman, propre de sa personne, beau, charmeur, mince, pouvait-il être la cible des médias? À cause d’un veston!
À l’opposé, à un autre gala, Kevin Parent, le beau Gaspésien ténébreux, montait sur scène arborant un style «dress down» des années 90 en jeans et t-shirt à manches courtes. On a interprété sa timidité maladive de l’époque à de la condescendance et son look à de la confrontation.
Fanny Mallette, l’excellente comédienne, a pour sa part fait une sortie lors des Prix Gémeaux il y a quelques années concernant les commentaires désobligeants sur les tenues de nos vedettes québécoises, alléguant que les comédiens d’ici n’avaient pas les moyens des Américains pour se payer de la griffe (québécoise).
Ses commentaires sont tombés à plat.Décidément, le look est la galle des galas.
Les Québécois et le rapport à l’apparence
C’est la beauté du cœur qui compte, croit-on. Oui, entre amis et membres de la famille. Non dans la société et dans notre quotidien, c’est un leurre. Avec tous ces articles qui pleuvent depuis dimanche au sujet de Safia, la beauté du cœur n’est pas invitée. Oui elle est grosse la Safia! Oui elle dérange avec son look. Mais qu’est-ce qui nous fait autant réagir? Selon Marie-Louise Pierson, psychanalyste et auteure de L’Image de soi «On juge et on est jugé sur les apparences».
Cela nous met en rogne d’être coté sur un aspect de notre vie qu’on ne réussit pas à contrôler, notre apparence. C’est aussi notre propre insatisfaction qu’on projette sur les autres. Sans le savoir, Safia Nolin a servi de miroir à ceux et celles qui sont insatisfaits de leur apparence et qui souhaitent atteindre la perfection, tout groupe d’âges confondus. «C’est leur détestation d’elles-mêmes que crient les femmes qui s’en prennent furieusement au look de Safia Nolin…C’est sa liberté qui les confronte et les effraie». Geneviève St-Germain, Facebook, 1er novembre 2016.
Cela peut-être le message de Safia : «Tiens, ma gang de paumés» ou aussi «Je n’en peux plus, je baisse les bras, pensez ce que vous voulez» Safia dirait sûrement «crissez-moi patience, ma cour est pleine». Ce à quoi répondrait Lise Ravary sur Facebook «Si Safia Nolin est une icône féministe, je rends ma carte de membre».
Parfois je perds patience dans mes conférences et mes ateliers parce que cette dynamique des apparences touche tout le monde, mais nul ne veut prendre sa part de blâme. Voici un exemple : «Ma fille est grosse et elle a l’air d’une lesbienne» me lance une dame. Je prends la balle au bond et lui demande : «Vous vous inquiétez vraiment d’elle ou si c’est plutôt votre image de mère qui est ternie et vous avez honte? Avez-vous peur qu’on vous prenne pour une mauvaise mère qui a raté l’éducation de sa fille? Si elle était mince et portait du rouge à lèvres, serait-elle plus féminine, une lesbienne plus acceptable? Ah! J’oubliais, vous n’êtes pas certaine qu’elle soit lesbienne.»
Dans leur livre, «Le code Québec», les auteurs Jean-Marc Léger, Jacques Nantel, Pierre Duhamel proposent les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde. Un de ces traits est : La faute aux autres (victime) …«Le résultat est qu’on laisse les autres décider, mais on est bon pour chialer, explique M. Léger. Si un jeune ne réussit pas, on dit que c’est la faute de l’enseignant. Si ça va mal au Canada, c’est la faute des Anglais et du fédéralisme.»
Serait-ce la faute du gala lui-même cette histoire de look? «Alors, en alimentant moins l’image projetée, est-ce qu’on pourrait amorcer le processus de changement vers un traitement équitable des gens, de nos artistes, de nos voisins, qui ne se basent pas sur l’apparence? ET SI LE PROBLÈME C’ÉTAIT LE PROTOCOLE DES GALAS ET NON LE LOOK DE SAFIA NOLIN? Stéphane Morneau, Blogue, La boîte à images, dans le Journal Métro du mardi 1er novembre 2016
Est-ce aussi la faute du gala si les caméras se sont tournées vers Denis Coderre quand l’animateur a abordé le sujet du poids des trophées? On peut rire du poids des hommes, ce n’est pas pareil, c’est juste drôle. Anne-France Goldwater pourrait vous le démontrer!
Un débat sur les apparences
Essayez d’imaginer un débat sur les apparences. Impensable dans le climat actuel. Un débat cependant qui donnerait la chance de voir la vraie nature des gens. Des gardes du corps, des pitt bull, des policiers, des journalistes fichés par le SPVM, des femmes indignées, des misogynes, tout le monde aurait son mot à dire sans écouter celui de l’autre.
«Les Québécois ne savent pas débattre; ils s’insultent ou se contentent de cataloguer les individus au lieu de discuter de manière profonde les idées défendues par autrui», Jean-François Caron politologue, cité dans le livre Code Québec, au sujet d’un autre trait de caractère des Québécois : le CONSENSUEL (pas de chicane)
Serait-ce que certains mots se présentent en duo : grosse lesbienne! grosse tabarnak! Ostie de grosse! Criss de fif!? Et autres mots doux d’un riche vocabulaire utilisés dans ce type de derby de démolition.
Sommes-nous hypocrites? Non! Incohérents? Oui! Le dossier «apparence», comme celui de la politique, suscite trop de passion. Mais il faudra bien un jour laisser la place à ceux qui peuvent parler des apparences avec respect.
Un brin d’éducation vestimentaire dans les écoles permettrait aux jeunes de réfléchir sur ces termes : le look, le style, la mode, les préjugés, les apparences, la peur du regard de l’autre, les fausses croyances, la symbolique vestimentaire et surtout, le vêtement, outil de communication.
«La laideur n’est pas toujours celle que l’on croit reconnaître. Elle se terre parfois au fond de gens qui, confortablement installés devant leur tété, déversent leur fiel sur Twitter» C’est qui elle?» Mario Girard, La Presse, mardi 1er novembre « Quand Twitter déverse son fiel.»
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Crédit photo: www.lookdujour.ca