L’histoire est classique, presque banale. Mon récit ressemble à celui de bien d’autres gars de ma profession, à quelques variantes près. Oui, oui, moi aussi, avoir le sens de l’esthétique, être un chantre du beau et devenir gendarme attitré aux délits vestimentaires m’ont été inculqués par ma mère.
Mes premières empreintes se sont donc forgées dans le sillon de madame Breton, coach officiel du bon goût. Jeune, elle m’a initié aux magasins 5-10-15 cents, United, Woolco, Miracle Mart, M, Greenberg, Quincaillerie Pascal et Distribution aux consommateurs (dont le slogan était :Souffrez un peu, économisez beaucoup). Avec l’apparition des centres commerciaux dans notre région, sa tâche s’est complexifiée et elle m’a vite promu au poste d’assistant styliste pour la famille.
Relationniste bien avant la lettre, cette femme, sans artifice, était douée d’un puissant pouvoir de persuasion. Sa simple présence éclairait n’importe quel lieu et imposait le respect.
Même si elle se pliait aux exigences sociales de l’époque où les femmes devaient être gantées, chapeautées et vivre dans l’ombre du mari, ses opinions anti-cléricales et ses positions quant à la place des femmes étaient connues et redoutées.
Mère économe et consciencieuse, elle investissait modérément dans ses tenues et parcimonieusement dans les accessoires de ses toilettes. Sa sobriété et sa simplicité ne faisaient que mettre en valeur ses yeux inquisiteurs, sa grâce et son profil morphologique à la Jacky O. Coiffée de sa prestance, elle attirait les regards.
J’étais fasciné par ce pouvoir naturel d’attraction qu’elle exerçait sur les gens, âge et rang social confondus.
Aujourd’hui, l’expérience, combinée à mes recherches sur les apparences, m’apporte plus de compréhension sur la symbolique du vêtement, des accessoires et de l’allure générale des gens. Inconsciemment, nous invitons les autres à faire une lecture de notre emballage et à notre insu nous devenons un bureau d’informations, ce que j’appelle Le look révélé.
Maintenant âgée de 80 ans, ma mère souffre d’une incompréhensible maladie de la mémoire. Mais la maladie n’a pas évacué la coquetterie. Madame Breton a conservé son rituel du rouge à lèvres et du fard à joues et c’est en toute beauté que lors de mes visites bimensuelles nous allons au resto. Elle est si fière de son fils.