S’aventurer sur le terrain de la liberté d’expression en ce moment est un geste téméraire. Suite aux débats suscités par l’absence des humoristes Ward et Nantel au dernier Gala Les Olivier et de la polémique sur le droit de s’exprimer librement, je redoute presque d’être excommunié des réseaux sociaux avec mes propos. Au Québec, on ne fait pas dans la dentelle et on monte aux barricades à la moindre opposition à nos opinions. Le mot d’ordre semble être « Moi, moi, moi j’ai raison et toi, tu as tort. »
Je suis heureux de ce débat sur la place publique parce qu’il ouvre grand la porte à une situation similaire à celle vécue par les humoristes, la communication vestimentaire. Je me permets donc d’établir un parallèle entre le droit de dire ce que l’on veut en humour et le droit de porter ce que l’on veut au bureau. Tout est une question de « ton » et de « message ».
Beaucoup d’entreprises se plaignent du laisser-aller vestimentaire de leurs employés et cherchent un remède à leur problème d’image. Avant de proposer « quoi porter » sur les lieux du travail, il faut d’abord comprendre pourquoi les employés optent pour un style plutôt qu’un autre et ensuite leur expliquer les incidences d’un look inadéquat au bureau. Il s’agit donc de décrypter les phénomènes de mode et les thèmes véhiculés par les employés.
Dans mes ateliers, quand je demande aux participants de préciser le mot par lequel ils aimeraient être définis, quelques thèmes sont récurrents : crédible, classique, décontracté et en tête de liste, AUTHENTIQUE. L’authenticité touche directement une des cordes sensibles des Québécois. Cette façon de voir et de faire trouve sa source dans des valeurs judéo-chrétiennes bien ancrées. On a longtemps associé la richesse ou l’élégance à quelque chose de prétentieux, d’au-dessus de la mêlée et, surtout, loin du peuple. Quelque chose dont il fallait se méfier ou même rejeter parce qu’élitiste. Notre rapport à l’habillement est teinté encore aujourd’hui par cette obsession de faire authentique. Les réflexions de Marie-Louise Pierson rejoignent les miennes : « Vous avez peur de l’image au nom de votre authenticité. »
Mais voilà qu’on confond authenticité et créativité, authenticité et liberté, authenticité et crédibilité. On a tellement besoin de faire « créatif », « intelligent », « libre des apparences » et à « l’abri de la mode » qu’on se drape dans un uniforme de contestataire version 2016.
« L’intention initiale de cette culture du dressing-down était sans doute louable car il était question, au début, de cultiver un environnement de travail rebelle et bohème, à grands coups de t-shirt à slogans intellectuels. Mais il semblerait aujourd’hui que ces idéaux aient été perdus de vue car le nouveau message semble être plus paresseux, du genre « je suis tellement absorbé par mon travail que prendre soin de moi et m’habiller est le dernier de mes soucis. » N’est-ce pas là une manière de dire « je me sens tellement supérieur à vous que les règles vestimentaires les plus basiques ne s’appliquent pas à moi. » – Sonya Glyn Nicholson
L’authenticité a le dos large. On l’utilise par conviction, arrogance, ignorance, comme un ticket qui donne droit à l’appartenance au groupe, pour cacher nos insécurités vestimentaires, un laissez-passer pour se distinguer des esclaves du complet/cravate, pour camoufler notre mauvais goût, un passeport pour la différence… « Celui qui teste les limites sans jamais les rencontrer aura le sentiment d’être victime d’un terrible abus le jour où une limite se dressera devant lui. » – Josée Touchette, psychologue, La Presse+, mardi 17 mai.
À ce que je sache, il n’y a pas de guide dans les entreprises qui spécifie qu’on ne doit pas cracher par terre, ni roter, encore moins « péter » devant ses collègues, question de courtoisie et de savoir-vivre. Il s’agit de règles tacites. Pourquoi alors est-il permis de porter les looks qui nous plaisent sans tenir compte de l’impact de nos choix sur les patrons et les clients de l’entreprise? N’est-ce pas aussi une forme de respect? Pourquoi associe-t-on le discours sur l’image à quelque chose de ringard, d’une autre époque? On ne parle pas ici de « bonnes manières », comme mettre les ustensiles du bon côté de la serviette de table, mais de messages véhiculés par nos vêtements.
Selon Myriam Hoffmann, consultante en image et directrice du cabinet Première Impression, chroniqueuse pour Le Monde Économique : La décontraction vestimentaire va de pair avec un déclin de :
• la productivité et de la qualité du service dans le travail
• la loyauté et de l’engagement
• la courtoisie orale
• l’éthique comportementale
Je mettrais cependant un bémol sur les propos de madame Hoffmann. Selon moi, le phénomène de l’authenticité et du « dress-down » est aussi une réaction à toutes ces prescriptions sociales qui nous oppressent, cette inquiétante montée de la droite politique et de la rectitude ambiante.
Nous vivons dans une société policée. Ça prend une soupape. » – Nathalie Petrowski, Les Échangistes, Radio-Canada, 16 mai 2016.
Il est important aussi de se rappeler que certaines entreprises pratiquent la ligne dure et sont catégoriquement opposées au « dress-down ». À preuve, cet article de Sylvia Galipeau dans La Presse+ du 13 mai 2016, Pétition contre le « sexisme » des politiques vestimentaires dont voici un extrait :
«…Une jeune secrétaire de 27 ans s’est fait renvoyer par ses patrons parce qu’elle refusait de porter des talons. » « Au Québec, la liberté et la dignité des personnes sont protégées par l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne. Théoriquement, un employeur n’a donc pas le droit d’obliger des employées à porter des vêtements comme des talons hauts, des minijupes et autres blouses transparentes. »
Dans un clan comme dans l’autre, il ne faut jamais oublier que le vêtement est un écriteau suspendu au-dessus de nos têtes sur lequel est écrit noir sur blanc le fond de notre pensée. C’est ce pouvoir qu’on lui confère qui nous insécurise. Ainsi notre sens de la rébellion ou de la conformité, notre personnalité, nos talents et nos états d’esprit se révèlent grâce à lui. Le vêtement peut détonner comme une fanfare ou s’accorder avec l’atmosphère ambiante avec une élégance toute en finesse.
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Photo: Maurilio Amorim