Les stars sont-elles devenues nos poupées de papier?

papier Marilyn

Enfant, j’observais mes sœurs qui découpaient des vêtements et les accrochaient à des poupées en papier. Elles choisissaient les tenues selon leur humeur ou leur inspiration du moment. Le thème de la plage succédait à celui de la tenue de gala en passant par un style des années 1920. Elles étaient les maîtres d’œuvre des looks des poupées de papier et avaient plein contrôle sur leur apparence.

Les vedettes et les célébrités sont-elles nos poupées de papier de l’ère du numérique, nos toutous à qui on prête voix, nos petits animaux de compagnie sur qui on transfère notre trop-plein d’amour ou nos irritations du quotidien.

« Aujourd’hui, nous te voulons comme ceci et non comme cela. Tu te dois de nous obéir et de ne pas nous décevoir », semble être le mot d’ordre des internautes à leurs idoles. Après les diktats du clergé d’avant la Révolution tranquille au Québec, les diktats des bureaux de tendances pour la mode voici maintenant les diktats des frustrés.

EMMANUELLE BÉART

Prenez l’exemple d’Emmanuelle Béart prise en photo au tournoi de tennis à Roland-Garros en France le week-end dernier. Aucune censure de la part des internautes. Le bashing dans ce qu’il a de plus intense, une ponctuation démesurée dans les échanges. Sa chirurgie labiale ratée a surchauffé les réseaux sociaux. La poupée de papier était fripée et cela a déplu aux gérants d’estrade.
« Du naturel. On veut du naturel », clament les spectateurs devant l’échafaud du bourreau prêt à trancher les têtes des désobéissants qui causent de la peine à leur public. « La sincérité. On veut la sincérité », demandent les purs et durs de l’authenticité.

On exige que nos vedettes se présentent sous leur vrai jour. Quel vrai jour au fait? Le vrai jour devant leurs amis, le vrai jour pour les ego portraits, le vrai jour en pyjama dans leur maison. La poupée de papier ne sait plus où donner de la tête. Être naturel? Ben non! Dites-donc les vraies affaires. On devrait plutôt dire : « J’ai réussi un maquillage qui fait naturel, c’est-à-dire que personne ne se rend compte que je suis maquillée ». « J’ai réussi à gonfler mes cheveux pour donner l’illusion que je sors du lit et que l’apparence n’a pas d’importance pour moi ». Ben non. Ce n’est pas vrai. On joue tous des personnages. On joue tous la même joute.

Le vrai, on veut le voir, même s’il est faux. On veut du beau, fake ou pas. Que du beau. Les célébrités doivent nous faire rêver. Elles représentent l’image que nous aimerions tant atteindre sinon, gare à elles. Chirurgie esthétique, Botox, drogues, médicaments, on s’en fiche tant et aussi longtemps que cela ne paraît pas. Pas de vieilles, pas de grosses, pas de rides ni de cellulite, la vedette parfaite, quoi. Prends tes millions et organise-toi pour être belle sinon je le dirai à mes amis sur Facebook, Instagram et compagnie.

Ce phénomène n’est pas sans me rappeler le film Misery tiré du roman de Stephen King où Annie (Kathy Bates) garde en otage et maltraite le romancier Paul Sheldon (James Caan). Furieuse du déroulement de son dernier roman dans lequel il fait disparaître un personnage qu’elle affectionne particulièrement, elle est prête à tout, même à commettre l’irréparable, s’il ne change pas le cours de son histoire.

HILLARY CLINTON

Hillary Clinton est devenue la première femme à remporter les primaires démocrates dans la course à la Maison-Blanche, le 7 juin dernier. Mais voilà que ses détracteurs ont crié haut et fort que la tenue Armani estimée à 12 000 $ qu’elle portait lors de son discours sur la redistribution des richesses était inappropriée. Elle aurait dû consulter Pauline Marois qui a fait couler tant d’encre avec ses écharpes griffées et qui, pour redorer son blason de citoyenne exemplaire, nous avait fait visiter son modeste chalet dans Charlevoix, question de nous faire oublier son château de style Moulinsart dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal. J’oubliais, pour être crédible, on se doit de s’habiller chez Winners ou de se coiffer comme Donald Trump, et de ne pas étaler nos actifs.

AXL ROSE

Même les rockers n’échappent pas à la pression de l’image et redoutent les commentaires de leurs fans. Dans une chronique d’Hugo Meunier de La Presse + du 8 juin dernier, on peut y lire que l’entourage de Axl Rose aurait officiellement demandé à Google de retirer une photographie prise lors d’un concert en 2010 où le chanteur n’est pas à son avantage.

Les spectateurs se déplacent-ils pour le voir ou pour l’écouter? La vente de billets diminuera-t-elle parce qu’il est devenu gros? À moins qu’il ne mincisse pour la tournée et reprenne son gabarit d’obèse ensuite. Ne serait-ce pas de la fausse publicité que de le présenter mince comme un fil sur les affiches et gros comme un tonneau sur la scène?

Comment départager la fiction de la réalité, le vrai du faux, la vérité du mensonge, l’authenticité de l’imitation? Tant à l’international qu’au Québec, les autoportraits et les commentaires émis par les célébrités sont matière à des diatribes sur les réseaux sociaux. « Pèse sul piton Manon » dirait Guy A. Lepage à TLMP. Bouton d’indignation, de rage, de déception, d’accusation, de coups bas, les internautes s’arrogent le droit de dire tout, tout le temps, n’importe comment. Peut-être s’imaginent-ils que les autres sont fabriqués d’acier trempé. On a créé un monstre qui se nourrit des faiblesses et des malheurs des autres.

Que se cache-t-il derrière les réactions démesurées des internautes? Leur propre peur de vieillir, une dépendance affective avec l’inaccessible, le refus de leur ombre, c’est-à-dire la honte de leur propre corps ou de leurs échecs, un transfert de la colère à leur égard, une demande à l’aide, une tristesse face à leur vie?

On ne découpe plus de poupées en papier avec des ciseaux, mais nos icônes afin qu’elles correspondent à nos aspirations. Ciseaux sociaux ou réseaux sociaux?

Voir mes articles sur le Huffington Post

*Photo www.speederich.com

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