Bernadette Lemoine gère les comptes-clients de son époux Béranger, notre fournisseur d’huile à chauffage à la campagne. Sachant mon plaisir à étudier des nouveaux spécimens, mes amis insistaient pour que je la rencontre. Madame Lemoine de la rue Lemoine (baptisée ainsi en l’honneur de son mari entrepreneur), est reconnue pour sa personnalité pétulante et son look atypique. Prétextant ne plus avoir de chèque pour la payer et préférant le faire en espèces, je lui téléphone. À prime abord un brin ergoteuse au bout du fil, je m’attendais à un échange plutôt froid.
La totale! Tout transpire l’exagération chez cette femme : son look, ses chats qui ne suscitent aucun élan de caresse, la cigarette qui grille en permanence et un disque de Dalida qui joue en boucle. Par quoi commencer? Par moi-même.
Mon travail n’est pas de juger mais de m’affairer à comprendre les comportements reliés aux looks et au vêtement. Cette ambassadrice du kitch me plonge dans un questionnement. Le bon goût et le mauvais goût existent-ils? Qu’est-ce que l’esthétisme? Je ne sais plus. Si une démarche vestimentaire évolue en dose homéopathique chez certaines personnes, à l’opposé chez d’autres elle se fait à la vitesse et la force de l’ouragan Katrina.
Son assurance, plus que son allure, me déconcerte alors que sa collection d’horloges suisses desquelles s’extirpent aux deux minutes des moineaux aux coucous stridents me déconcentre. Mon œil, mes oreilles et mon cerveau sont sollicités de toute part. Ses cheveux roux frisés style afro sont repoussés et retenus vers l’arrière par une passe perlée ne faisant ainsi aucun ombrage à la quincaillerie du visage. Six anneaux traversent le lobe droit et huit faux diamants l’oreille gauche. Un chandail moulant en V aux motifs léopards exhibe une poitrine sans soutien-gorge parée de chaînes et de pendentifs en or qui s’entrecroisent. Des ongles de couleurs variées décorent ses mains baguées à l’index, à l’auriculaire et au pouce. Un pantalon de jogging beige stoppé par une bande élastique à la cheville s’arrête sur une chaussure en suède rose à talons hauts, plateformes incluses. Bracelets aux poignets et chaînettes aux chevilles complètent ce look d’esclave des temps modernes. Esclave ou totalement libre des références médiatiques? Déconnectée de l’univers ou au contraire entièrement centrée sur elle-même, ses goûts, ses fantaisies? Look suranné? Monumental? Air emprunté?
Quelle est la vraie nature de Bernadette? Quelqu’un frappe à la porte. Ce sont Astrid et Jouvence, ses petites-filles de onze et treize ans. La grand-maman de soixante et six ans éteint vite sa cigarette, oublie ma présence et câline les fillettes. D’un sourire bienveillant qui dégage un diamant incrusté dans une dent, elle me raccompagne à la porte, escortée par les coucous de 16 heures.
Brenda Montgomery « Du cœur a ses raisons » fait des émules.