Un Noël de chien

La Banque des Neiges a avisé le Père Noël qu’aucun emprunt n’était disponible cette année pour la location des rennes. Décision irrévocable. Bien qu’on prévoie moins de cadeaux à distribuer pour la Saint-Nicholas, quelqu’un doit tout de même tirer le traîneau du gros barbu et sa poche de bébelles. Une crise économique suffit, évitons une crise d’enfants si possible. Les ressources pour distribuer les étrennes se font rares. Les ours polaires n’osent plus quitter le morceau de banquise qui résiste, les phoques, en répétition, sont déjà réquisitionnés par les photographes de Brigitte Bardot pour un prochain scandale et les chevreuils sont en vacances après la saison de la chasse. Le temps presse. Heureusement, il y a 1-800-CHUDANSMARDE.
Miracle! Les candidats répondent à l’appel instantanément. Adèle, Jackie, Lolie, Roméo, Léo et Louis arrivent en renfort. Ces chiens, tous membres de la même meute du Plateau, cherchaient justement un défi extrême pour se déshumaniser. Pour ouvrir la marche, Roméo, le prince du Zénith, un Grand Pyrénées, est assorti à Lolie la Jack Russell. Le robuste inoffensif et la petite nerveuse qui ne voit pas le danger. Adèle une Griffon Korthal aux grands yeux tristes et manipulateurs, est coiffée à la Diane Dufresne et grogne contre les journalistes venus couvrir la grande épopée. Elle sera au centre du groupe côte à côte avec Jackie, sa meilleure amie. Miss Jackie, une Airedale terrier, la Véro de la colonie canine, est définitivement la plus racée du groupe, la plus mordante. Elle s’imprègne des émotions du moment, souriant aux gentils et montrant les crocs aux personnalités sombres. Derrière elle, Louis, un braque de Weimar et non Louis Morissette, qu’elle excite au plus haut point, est tellement stimulé par ses effluves qu’à lui seul il tire la moitié de la charge. Dieu merci parce que Léo, un Poodle botoxé, avec qui il est jumelé, cherche plutôt les Kodaks au lieu de regarder où il va. Il ne faut pas perdre le nord. La caravane se met en branle et c’est un départ orchestré pour cette fabuleuse chevauchée. Devant une foule galvanisée, les oreilles au vent et la langue pendante, nos amis se lancent vers le ciel malgré un temps qui se chagrine.
Mais le chagrin se lit aussi sur les joues zébrées de larmes des propriétaires qui voient s’envoler leurs petites bêtes. Sur qui pourront-ils maintenant transférer leurs angoisses souterraines, leurs inquiétudes et leur palmarès d’incertitudes? Devront-ils apprendre à communiquer avec d’autres humains, livrer leurs émotions et se coller les uns aux autres ? Quel cauchemar !
Pendant ce temps, les toutous, telles des outardes, survolent la belle province et décompressent de ne plus entendre parler des déboires vestimentaires de leurs maîtres. Maîtres de quoi, se demandent-ils au fond d’eux-mêmes? Il n’y a que l’humain qui critique tous les jours le corps que la nature lui a donné et qui s’oblige à changer sans cesse de parure. C’est à se demander qui de l’homme ou l’animal vit en laisse.