Le look n’est pas un sandwich

Je me dirige vers Montréal en voiture, le temps est magnifique; presque personne sur la route. Le chien et le chat dorment au son du moteur dans leur cage respective, face au soleil. Il ne manque  que des ailes à mon bolide pour sentir plus de liberté. La morosité de l’été pluvieux est déjà derrière moi.  Et si j’ajoutais de la musique pour célébrer ce mois de septembre ensoleillé? Mauvaise idée! À la radio, une chanson démodée me replonge 30 ans en arrière, ravive un lointain souvenir, le cœur me serre et brutalement un sentiment de mélancolie m’habite. Une journée froide et pluvieuse de novembre n’aurait pas pire effet.

Nous sommes tous habités par des sentiments et des émotions qui surgissent selon les gens ou les circonstances qui se présentent à nous. Être prisonnier de la circulation sur un pont pendant des heures stimule notre impatience; un enfant en panique perdu dans un parc d’attraction fait  remonter à la surface notre propre abandon; une journée d’été écrasante qui bat des records d’indice d’humidité ressuscite notre envie de marcher dans la neige à -30oC et l’hiver, tout à coup, devient notre saison préférée.

Ainsi en est-il avec le vêtement. L’image corporelle est la perception que nous avons de notre corps, l’image visuelle est ce que nous offrons en lecture à nos vis-à-vis alors que l’image sensorielle, elle, correspond à nos sensations. Comment vous sentiez-vous ce matin devant la glace? Dynamique? Effacé? Combatif? Écrasé? Sensuel? Découragé de votre mine fade sans éclat?  Peu importe, vous devez traverser cette journée, vaquer à vos occupations, vous présenter au boulot, bref, composer avec cette énergie qui vous porte ou au contraire qui vous exaspère. Dans ses fonctions, le vêtement peut devenir un outil, un allié pour palier à nos manques ou mettre en évidence une sensation déjà bien installée dès le lever.

« Si notre humeur influence nos tenues, le tissu influence nos pensées. Quels qu’ils soient, les vêtements éveillent en nous des comportements qui sommeillent. Si je porte du fluide et du flou, cela va réveiller en moi la souplesse, la légèreté. Si j’enfile un vêtement sévère, c’est ma rigidité qui s’éveille alors. Le vêtement fait vivre tour à tour des parties de nous-mêmes ». Aline Dagut, École parisienne de la Gestalt.

Le corps, le senti et le visuel s’imbriquent l’un dans l’autre. Le look n’est pas un sandwich où nos sensations sont prises entre le corps et le vêtement comme une tranche de tomate entre deux portions de pain. La fusion entre l’état d’esprit et l’image qu’on désire projeter est la base de notre condition quotidienne : sévère et coincé dans son armure hier, chef de file et tête de chef aujourd’hui, sensuelle et ultra féminine demain. Quoi qu’en pensent les clercs du style et les tyrans du « il faut être à la hauteur », l’humain n’est pas un concept mais un mélange de joie, de peur, d’inquiétude, de collégialité, d’humour. Le vêtement ne fait que le révéler.


MUGUETTE

Muguette n’est pas une fillette et pourtant elle véhicule dans sa gestuelle et dans ses tenues un air de gamine, de jeune écolière. Son père, Eugène, grand admirateur du Frère Marie-Victorin et jardinier en chef du cimetière municipal donna comme prénom à ses cinq filles Fleur-Ange, Muguette, Violette, Rose et Marguerite Lafleur. À l’adolescence, les sœurs Lafleur furent un bon sujet de taquinerie de la part des garçons. « Veux-tu mon pollen? »; « Tu manques d’eau mon bouquet ». C’est ainsi que Marguerite devint Margot, Fleur-Ange modifia son nom pour celui de Marie-Ange et Violette qui épousa un anglophone opta pour Vi. Rose, la moins emmerdée du groupe par cette gymnastique linguistique des noms et des prénoms continua avec fierté de s’appeler Rose et Muguette par respect pour ses origines s’obstina à garder le sien.
Tristement, malgré son prénom particulier, Muguette conserva aussi des manies vestimentaires du passé. J’ai longtemps observé chez cette femme l’incohérence entre son âge et son apparence. Que camouflait ce look chargé de sous-entendu?

Mon travail  d’analyste en comportements vestimentaires (ACV) consiste à mettre en lumière la face cachée des tenues et non d’en faire le bilan au sens esthétique. Toute une armée de relookeurs et de stylistes se charge de cet aspect. Les goûts ne sont pas à discuter mais à expliquer. Le relookeur métamorphose et maquille une silhouette alors que le styliste met de l’avant la personnalité et l’âme d’une personne.  Le relookeur agit, le styliste interagit, d’où l’importance de l’observation des comportements humains.

Aux funérailles d’Eugène qui avait épousé en secondes noces la sœur de mon père je trouvai enfin ma réponse concernant Muguette Lafleur. Invité chez la veuve à partager le buffet après la messe, je m’amusai à regarder les  photos de famille qui tapissaient les murs. Sur tous les clichés, de l’âge de 4 ans à aujourd’hui, Muguette arborait la même coiffure, coupe enfantine où le toupet carré garde la marque du rouleau, nuque rasée, oreille dégagée et ultra volume aux tempes. Même la couleur angélique de ses cheveux est identique encore aujourd’hui. Ces éléments nous démontrent sa résistance à entrer dans le monde des adultes, la négation de quelque chose.
Loin d’être mal fagotée, cette fillette de 56 ans nous informe sur sa vision romancée de la vie avec ses robes fleuries à la Laura Ashley et son style à la Émilie Bordeleau version 2009. En revêtant l’uniforme « Je me souviens », Muguette crois afficher des valeurs plus sincères et authentiques que ses contemporains emportés par le courant de l’air du temps. Le fait-elle par condescendance pour snober la mode ou par prudence pour calmer ses angoisses face au changement?
Morale : si une hirondelle ne fait pas le printemps, du moins un styliste peu rattraper le temps.

Luc Breton rencontre individuellement ceux et celles qui veulent clarifier leur rapport au vêtement et comprendre leurs choix vestimentaires. Ces tête-à-tête  sont tout désignés avant d’entreprendre une démarche avec les stylistes et les spécialistes de l’image. Ces rencontres se veulent une réflexion sur les habitudes vestimentaires.
Voir l’onglet CONSULTATIONS PRIVÉES à www.lucbreton.com


Quête ou Quétaine

Depuis la fin des classes j’accompagne mon neveu de 16 ans dans différents tournois de soccer et nos journées se terminent presque toujours sur une terrasse. Étrangement, l’humeur de dame Nature est souvent synchronisée à celle de l’ado. Installés devant notre sempiternel club sandwich, je l’initie à l’observation des piétons et à la lecture vestimentaire des passants. Interdiction de porter de jugement sur les styles même si parfois la tentation est forte. Genre!

Les éléments à considérer : l’âge, le sexe, la morphologie, la posture, la démarche, l’attitude, le niveau de légèreté ou de sérénité de la personne et évidemment le secteur où tout cela se joue. L’interprétation d’un ado et sa gestion de toutes ces données m’intéresse au plus haut point. Genre! Notre première cible : la rue Ste-Catherine dans le Village, piétonnière pour la saison estivale.

Une famille s’est installée à la table voisine de la nôtre. Le papa et la maman d’un côté, le garçon et la fille de l’autre. Une sortie éducative pour expliquer aux enfants les mystères de la vie. La mère mène le bal et avertit sa progéniture de se retourner quand des cas suspects déambulent. Nos regards se croisent, elle m’épie. Je me suis fais prendre à mon propre jeu et je la perçois mal à l’aise de me voir avec mon jeune joueur de soccer. Suis-je le père, le mon oncle cochon, un sugar daddy, le conjoint de sa mère ou pis encore l’amant de son propre père? Son mari  qu’elle a sommé de les accompagner est catastrophé et se souhaiterait téléporté à la Cage aux sports.

Dimanche, 19 heures, deux clientèles à décrypter : les passants qui paradent et les voyeurs, attablés sous les auvents, feignant de ne pas remarquer toute cette diversité. Des hommes, majoritairement, 30% de femmes et 10% d’une espèce impossible à déterminer, ni chair, ni poisson.

Un catalogue de corps
Des corps bien carrossés et bronzés certes mais en moins grand nombre que la légende urbaine le laisse croire. Des ventres ronds, des très ronds, des plats, des têtes grises, chauves, mauves, des barbes, des barbichettes, des favoris à la Elvis, des imberbes. Des piercings et des tatous surtout. Le corps utilisé comme canevas pour véhiculer un message, une appartenance. La norme inscrite dans le corps.

Profil vestimentaire
La plupart des marcheurs portent des vêtements au goût du jour, flairant l’air du temps : chapeau funky, lunettes stylées, rien d’extravagant dans les circonstances si ce ne sont les poses que chacun se donne pour exprimer sa couleur personnelle. 30% ne sont pas lookés mais costumés. Devant nous ce couple d’hommes. Un porte un kilt noir trop ajusté et bottes de lumber jack, l’autre se pavane en pantalons jupe rouges brodés de flammes jaunes jusqu’aux cuisses. Signe d’affranchissement personnel ou débordement vestimentaire? Un autre homme, lui,  a retrouvé la perruque de Patrick Normand et s’exhibe avec ses bottillons vernis bleu poudre. Où a-t-il dégoté ses accessoires? Une quinquagénaire personnifie Janis Joplin. Elle porte son look comme une écorce. Habiterait-elle la Nouvelle Écorce? Quel personnage se cache derrière un style? Quelle personnalité peut-on reconnaître à travers un look? Quelles motivations poussent un individu à se vêtir hors contexte? Une religieuse missionnaire à la Mère Teresa va droit son chemin et traverse cette faune. Sceptiques, on se demande tous si elle joue un jeu elle aussi. Qui dit vrai? Je ne suis pas un ténor du bon goût mais soudainement j’ai le mal de mode sur les flots du paraître.

Que nous soyons en quête d’identité vestimentaire ou quétaine avec un grand Q, « Le style, cela n’a de sens que si c’est le vôtre. » Versace


L’empreinte paternelle

Rénovation oblige, me voilà juché sur le toit  de la maison, un pied sur l’échelle et un genou sur la tôle noire brûlante. Je cuits à petit feu et combats mon vertige en m’équilibrant avec quelques jurons. Le téléphone sonne, je redescends à la hâte. C’est mon père qui cherche un accompagnateur pour un autre rendez-vous à l’hôpital. Encore des examens, des piqûres, des prises de sang et mon chantier qui reste en plan.

Depuis quelques mois, visiter les salles d’attente et les différents départements des établissements de santé est devenu une seconde nature. C’est la même routine partout : s’asseoir, attendre, « ça ne sera pas tellement long… » Je réussis à trouver une chaise confortable afin que mon père puisse y déposer ses 85 livres et y installer le coussin qu’il traîne partout pour protéger son fessier osseux. La notion de vieillesse prend tout d’un coup son sens. Je me projette dans ce corps malade, maigre, qui résiste et qui se bat pour profiter d’une journée, une semaine, un mois de sursis mais certes pas une autre année. Coupable de vieillesse.

L’image est claire, je m’imagine vieillard. Déjà, par mimétisme  je reproduis la même posture que mon paternel, le dos écrasé sur les reins, légèrement courbé vers l’avant. Mêmes expressions du visage, le sourcil épais, les joues et le nez traversés de vaisseaux, fruit de la génétique. Tels deux adolescents collés sur le même banc dans un autobus scolaire, nous sommes assis côte à côte, sans un mot. On sait de quoi demain sera fait, inutile de faire semblant.

Trop faible pour enfiler seul la belle jaquette requise pour les examens, je l’assiste comme je le faisais avec les figurants lors des tournages en cinéma. La tunique de l’hôpital, faute de formes et de masse corporelle sur lesquelles s’appuyer ne trouve pas prise, glisse et échoue au sol. Devant moi, nu, mon père cadavérique, frissonnant, qui réclame son peigne pour replacer son abondante chevelure. Coquet va! De sa main aux veines esquintées, il dompte la mèche rebelle. Tout un flash ! La tête de Serge Chapleau transposée sur le corps de Gilles Latulippe dans sa plus simple tenue.

Pour son esthétisme vestimentaire il priorise le sacré saint confort, mais toute sa fierté repose dans sa chevelure généreuse, sans éclaircie, et ses mains auxquelles il accorde un grand soin. En plus du coussin repose fesses, deux outils l’accompagnent partout, son peigne noir, format poche et sa lime à ongles.

Avait-il compris par intuition que derrière le bureau où trône un patron, les éléments clefs qui s’offrent en lecture aux interlocuteurs sont le visage et les mains? Dans la main droite, une bague ensemencée de diamants, et dans la gauche, son alliance.

Je porte aujourd’hui dans la main droite son alliance qu’il m’a offerte deux semaines avant de me quitter et sa bague diamantée dans la gauche. En inversant les mains, je perpétue ma vieille habitude de le contredire.

Je conserve cependant son sens de l’humour et son goût du détail, les boutons de manchettes, l’épingle à cravate, les mouchoirs de coton. Une tenue simple, bien gérée, efficace et non ostentatoire. Il me complimentait surtout pour mes choix de chaussures et le soin que je leur prodiguais. N’est-ce pas par le soulier qu’on reconnaît les valeurs morales d’un homme?

Les pères ont-ils joué un rôle dans notre conduite vestimentaire et ont-ils participé à l’élaboration de la signature de notre style? J’en ai longtemps douté, à tort. Il y a 30 ans le monde de la beauté, du souci de soi et de l’image corporelle était une prérogative féminine, ce terrain de jeu intéressait peu d’hommes. L’honneur et la dignité caractérisaient mieux les pères de cette époque.

Quel garçon n’a pas observé le rituel du rasage de son père le matin, l’odeur de la lotion « after shave », l’endroit où il déposait sa montre et son portefeuille en cuir en revenant du travail, sa technique pour nouer sa cravate ? Peu doués pour la communication orale, nos pères étaient les précurseurs du langage non verbal : fierté, politesse, courtoisie,  la tête haute et le corps droit.


Le bâton de pèlerin

Combien d’initiations doit-on traverser pour gagner la sérénité ?  La crise d’adolescence, l’attaque de la quarantaine, le démon du midi et que dire de toutes ces mises en garde sur les phases critiques d’un couple ?  Deux, sept et vingt ans seraient les étapes charnières voire critiques pour une relation.  J’attends toujours, mon couple flotte sur un nuage.
Pire que la crise qui est l’aboutissement d’un état d’être, il y a le doute qui n’en est que le commencement.  Tel un virus qui sabote un ordinateur, le vacillement bloque la créativité et procure une vague impression d’amnésie. Houston ne répond plus, la batterie, à plat! Aucun symptôme de burn out, ni de dépression, simplement le vide.  Comme les rhumatismes, le doute est un mal subtil.  Atteindre le centre du malaise s’avère difficile.
Qui n’a jamais expérimenté ces périodes de coma où on a l’impression de dégager autant d’énergie qu’une veilleuse de chambre d’enfant.   La stimulation! L’excitation! Voilà le remède. J’aime lire les opinions de Foglia, Nathalie Petrowsky, Denise Bombardier et la plume de Cassivi.  J’admire Marie Carmen pour sa résilience, Véronique Cloutier pour sa dignité, Sheila Fraser pour sa troublante honnêteté.  Je vibre à l’intensité d’Éric Lapointe et à l’humour acéré de Jean-François Mercier. J’envie le sang-froid de Guy-A Lepage. Le contrôle émotif de Sophie Thibault me rend jaloux. Simulacre? Apparence? Quelle importance ?
Évitons de confondre le jeu des apparences à l’emprise des apparences. Faire semblant d’être en forme pour rencontrer un client et répondre à ses attentes fait-il d’un employé un être faux et artificiel ?  Se redonner confiance en revêtant une tenue qui nous dynamise est-il de la frime ?  Pourquoi le vêtement ne serait-il pas notre bâton de pèlerin ?  S’appuyer sur une tringle ou être tiré à quatre épingles, n’est-ce pas le même désir d’être supporté, accompagné ?  Être à son meilleur s’entend, se lit et se voit.
Dans un monde idéal, nous quittons la maison pour le bureau gorgé de vigueur, en habitant notre corps et notre costume en toute conscience de nos faits et gestes.  Dans un monde réel, en mode pilote automatique, nous optons dans la penderie pour un kit qui a fait ses preuves.  La tenue qui nous attirera regards et compliments et qui camouflera momentanément notre période de doute.  « La tempête est bonne quand l’abri est sûr ». Giono
Annie est-elle dans le paraître parce qu’elle teint ses cheveux gris? Donald manque-t-il de sincérité avec ses dents blanchies? La correction au laser de la myopie de Josée va-t-elle à l’encontre du « faire naturel » ?  Les ayatollahs de l’être et les juges du paraître oublient-ils l’aspect réconfortant et soignant du vêtement ?  Font-ils la différence entre plaisir, souci de soi et dépendance ?
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. » dit l’adage.
« Ce qui me va bien se porte clairement et le style pour le dire se voit aisément. » rajoute l’analyste du comportement vestimentaire.


TOTEM

De Rouyn-Noranda, de l’île d’Orléans, de Dudswell, du Guatémala et de Magog, nous affluons, fébriles, impatients de renouer avec la gang. Le géant, la ronde, le colibri, le créatif, l’effacée et le beau gosse sont les personnages de mon cirque personnel, de mon cercle d’amis. Notre rencontre biennale se tient cette année à Key West.
« Comme si c’était hier! », « Tu n’as pas changé! », « Toujours aussi élégant! », « Hé, mémée, comment on se sent grand-mère? ». Pendant presque 30 ans, les contacts se sont faits rares. Les enfants, la carrière à l’étranger, un parent malade, un changement de carrière. Les ingrédients de la vie, quoi!
Aujourd’hui, c’est l’amour-amitié à l’état pur. Le transfert de sensations s’opère naturellement, sans mots inutiles et les détails, superflus. Lors de nos promenades quotidiennes sur la plage, j’observe le clan et m’amuse à le prendre en photos. Je construis des montages en y ajoutant des phylactères et présente au souper mon interprétation de la journée. Colibri, qui jouit d’un corps sculpté, collectionne les maillots de bain et ses choix vestimentaires lui font honneur. Grand-mère depuis peu, elle cherche le plus beau des coquillages possible pour son petit-fils. Mimi, la ronde, symbolise la sensualité. Féminine et élégante, elle ne se sépare jamais de ses bijoux massifs et excentriques,  ni de son sourire contagieux d’ailleurs. Un look d’enfer… Quelle beauté! Le géant au visage poupin, son amoureux, est pendu à ses lèvres (et à sa poitrine, soyons honnêtes!). Il voyage léger, ne croit pas à l’efficacité des crèmes solaires, fume le cigare et nous fait partager ses choix musicaux partout où nous allons. L’incarnation du beach boy sexygénaire.
Marie-Thérèse, elle, vit dans l’ombre. L’ombre de son patron, de sa mère et même de son look. Cultivée, rieuse, elle laisse entièrement la place aux autres, a horreur d’être aux premières loges. Son corps, sous l’effet de si peu d’amour de soi, s’est modulé à ses pensées et penche vers l’avant. Tout le contraire du beau gosse, bel être de commerce agréable, qui prépare la bouffe, décore la table et s’assure que le vin coule à flot. Il prend bien soin de concocter des apéros non alcoolisés aux abstinents. Cool! Avec sa tête sel et poivre implantée sur un corps juvénile et sa taille de guêpe bridée par un paréo à la limite de la décence, les filles s’énervent. Grâce à sa face basanée qui encadre des yeux noirs pétrole, on le dirait mexicain ou arménien et pourtant, il est de Rouyn.

Toute cette mayonnaise prend grâce au talent d’amuseur et de rassembleur du créatif. L’angoisse est la dîme de ses choix de carrière. Pour oublier, le temps des vacances, que la relève qu’il a lui-même formée l’a poussé dans les câbles du ring, il s’amuse à décorer les membres de la tribu. Chapeaux, turbans, bijoux, saris, maquillage et séance de photos. Aucune retenue. Place à la parure et à la thérapie par le déguisement. Mettre en lumière nos personnages de ti-culs et nos héros refoulés. Au diable le profilage vestimentaire, l’âge, la morphologie, le code social.
Comment peut-on, au quotidien, dans notre vie personnelle, professionnelle, sociale et affective, exposer avec le support du vêtement la partie vivante de notre être?
Je vous invite à me partager vos expériences vestimentaires, votre démarche, vos défis, vos rêves et comment aujourd’hui, dans ce monde d’image parfaite, vous conciliez apparence et sérénité.
Laissez-moi vos commentaires sur mon site à la suite de cet article www.lucbreton.com ou écrivez-moi à  [email protected]


Maman, qu’est-ce qu’on mange?

Le frigo déborde, le congélateur craque sous la charge des plats « dépanneurs » et le garde-manger est à pleine capacité. Pourtant, le même cri retentit immanquablement du living à 18 heures : « Maman, qu’est-ce qu’on mange? » Ce sont les deux ados de ma sœur, mes velcros chéris qui s’inquiètent du menu. Concentrés sur la planification d’une fête de famille, l’idée de gérer un repas pour cinq nous a échappé, ma sœur et moi. Hum! Voyons voir!
L’humain entretient avec le garde-manger et la garde-robe des rapports très semblables. Pour certains, ils représentent la survie, pour d’autres il s’agit d’un un passage obligé alors que les hédonistes, les sensuels et les épicuriens y voient une façon de s’éclater.
La soupe au chou de ma sœur est mon comfort food. Ma chemise feutrée à capuchon de François Joncas, créateur québécois des années ’90, est mon vêtement fétiche. Les deux me procurent la même sensation de bien-être.
Certaines personnes ne trouvent rien à bouffer dans leur garde-manger; d’autres peuvent cuisiner un repas complet à partir d’une boîte de pois. Certains préparent toujours les mêmes recettes; d’autres innovent selon l’humeur et l’inspiration du jour.
Des gens, par je ne sais quel aveuglement, ne voient que du vide dans leur penderie; d’autres créent des looks avec du fil blanc. Certains frustrent de ne jamais rien trouver qui leur convienne dans les magasins, d’autres glanent avec aisance, de véritables têtes chercheuses.
La notion de lecture  vestimentaire est un concept à peine développé au Québec et l’éducation vestimentaire n’a pas encore gagné ses lettres de noblesse. Il ne faut donc pas s’étonner de l’inconfort ressenti par plusieurs dans l’expérimentation d’un nouveau style.
Voici un truc. Formulez une phrase contenant votre look, votre attitude et enfin le message que vous souhaitez véhiculer. Par exemple, Luce est une professionnelle (look), avec un angle décontracté (attitude) et se veut crédible (message). Marie-Ange est BCBG (look), soignée (attitude) et créatrice (message). Simon est bo-bio (look), convivial (attitude) et pratique (message).
Il ne faut donc pas confondre le look avec l’attitude ou le personnage joué et bien identifier si le message concorde avec le tout. Faire « naturel », être « bien dans sa peau », être « en lien avec ses valeurs », ne sont pas des looks mais bel et bien des ondes qu’on aimerait dégager. Faire « austère », « sobre », « rigide » fait partie des messages transportés par notre apparence. Aussi, évitez de confondre « Je pense que j’ai l’air de… » à « J’ai peur d’avoir l’air de… »

 


L’habit dit, le moine agit. Le moine pense, l’habit traduit.

Robaire Fortin, notre deuxième voisin de la gauche à la campagne se démarquait des autres gars du village par son sérieux. Le yéyé, le gogo et les Beatles semblaient lui avoir échappé; le cannabis, l’acide et la bière n’avaient aucune emprise sur sa volonté. Mon père qui pestait contre le look baroudeur de mes frères le citait souvent en exemple et admirait son sens de l’entrepreneurship. Propre, distingué, le corps droit, travailleur acharné, il fût le premier de son groupe à s’acheter une voiture neuve à 18 ans. Un samedi après-midi, alors que le lascar astiquait son bolide pour mieux impressionner les mères de ses soupirantes, les policiers vinrent le cueillir. Fraude, complot, papiers falsifiés. Direct en tôle!

Aujourd’hui il s’appellerait Vingt cennes Lacroix, Conrad Black, Jocelyn Dupuis de la FTQ, Bernard Madoff. Il représenterait Enron, Norbourg, ou Martha Stewart. Son slogan « Venez à moi petits épargnants » identifierait sa publicité dans les journaux. En conférence de presse, alignés comme les apôtres de la Dernière Cène autour du Christ, ses conseillers simuleraient un faux repentir, placides, engoncés dans leurs complets sombres et fardant la vérité.
La société étiquette les professions. Le complet pour les affaires, le t-shirt et les jeans pour les créateurs, le look Bobo pour les architectes et le multimédia, le sarrau blanc pour le médecin et le veston à pattes d’épaules et boutons dorés pour le commandant de bord. Chacun prend sa place et joue son rôle. L’artiste souffre d’anorexie financière et lui accorder un prêt est périlleux; les architectes transpirent le design et vivent dans un environnement grandiloquent, les philosophes, sociologues et politologues sont au-dessus du paraître et se réfugient sous une couche de vernis intellectuel, les gens de la mode, ces êtres aux egos hypertrophiés ne sont ni politisés ni connectés sur la réalité. Heureusement qu’il reste les gestionnaires, crédibles, rassurants, sans dérapage vestimentaire. Les curés de la finance inspirent confiance. Pourtant,  « C’est seulement lorsque la vague se retire que l’on découvre qui se baignait nu ». Warren Buffet.

Parler des apparences est hasardeux. Nous sommes tous pris au piège du jugement et des préjugés. Être jugé nous horripile et nous agresse. Juger les autres nous culpabilise, nous gêne, nous déçoit. Ne pas se fier aux apparences est un vœu pieux. Depuis que vous êtes dans le métro ce matin, quels types de commentaires vous ont traversé l’esprit sur les autres utilisateurs? Élogieux? Peu flatteurs? Exacerbés? Ces réflexions rehaussent-elles votre estime? Cachent-elles un peu de jalousie? N’aimerait-on pas être à la fois comptable et créatif? Artiste et crédible? Médecin et boute en train? Bobo et cabotin? Mais comment peut-on alors, prisonnier d’un look ou engagé dans un code vestimentaire, transmettre notre moi profond? « Avoir l’air de » n’est-il pas à la fois la question et la réponse?

 


Robin des bas

Hollywood, Florida,  le 3 mars 1978.
Mon vol avec Dollorama Airways accuse un retard de plusieurs heures et nous atterrissons de nuit. En sortant de l’aérogare, rien à voir, tout se joue dans la sensation. L’odeur et la pression de l’humidité m’écrasent.  Au réveil, vite, vite, à la mer! Dos à la plage, je fixe l’horizon et me laisse caresser par la vaguette. Mon épiderme asséché de nordique crie de joie.
Je retourne sur mes pas et vlan! Mon père m’attend, appuyé sur ma chaise paquebot, entouré de ses amis et les amis de ses amis. Ils ont tous, sans exception, adhéré au look du snowbird québécois en vacance. J’hyper ventile! Ils se confondent aux nombreuses mouettes postées sur le sable, gros ventres, p’tites pattes. Le code vestimentaire est simple : bermudas montés jusqu’aux pectoraux, chaussures blanches et bas noirs ou bas blancs et sandales noires, gourmettes, chaînes de cou, bagues et montres plaquées or. Le soleil, complice, se réfléchit sur toute cette quincaillerie.

Montréal, 27 février 2009.
30 ans plus tard, notre Robin des bas des temps modernes sait-il qu’il est inutile d’attirer le regard sur ses chevilles avec des bas blancs ou mal coordonnés. Dans une lecture vestimentaire, la cheville a peu à dire. On se demande pourquoi l’homme québécois est en quête identitaire. S’il existe vraiment un lien entre la recherche du moi et le souci de l’apparence, notre mâle a évolué dans un épais brouillard. Aujourd’hui encore, il est généralement moins expérimenté que la femme dans la mathématique des proportions, l’ingénierie des styles et la subtilité du langage vestimentaire, il avance à tâtons et se manifeste timidement. Pour plusieurs, tout cela demeure aussi mystérieux que l’effet des phéromones.
Bien que novice dans la dynamique des looks, il se doute bien d’instinct qu’une lecture est faite de son apparence et souhaite, à travers ses tenues, faire vrai gars cool, ouvert aux exigences des filles, affable, protecteur et responsable. Évidemment, faire authentique, la tendance comportementale de l’heure, n’y échappe pas.
L’homme émerge aujourd’hui d’un siècle de renoncement à la coquetterie et se voit confronté lui aussi à l’impact de l’image. Le look, l’attitude corporelle et les comportements vestimentaires doivent s’intégrer aux différents volets de sa vie à la vitesse grand V, comme s’il fallait reprendre le temps perdu. L’homme révélé  doit apprendre à négocier avec le corps, la beauté, la virilité, la compétition et la pression sociale de l’âge. Faire jeune suppose être de son temps, moderne, ouvert à la nouveauté et cela est manifestement rendu visible par le support du vêtement.
Bonne nouvelle, les comportements vestimentaires, au même titre que les comportements culinaires, amoureux ou sociaux, se peaufinent avec la pratique.


Le fil conducteur

J’ai deux réveils-matin, un tactile et un sonore. À droite, Ti-Menou qui  me caresse la joue avec sa patte à gros pouce. À gauche, Jackie, la beauté canine qui  accorde son obsédante complainte à sa queue tirebouchonnée en battant la mesure tel un métronome. J’ouvre un œil et tout s’arrête. L’espoir renaît chez  les bêtes-enfants.
« Il y a espoir, peut-être, mais avant….déroulons le rebord », me murmure mon corps encore inerte.
J’entame ma routine quotidienne, machinalement. Quelques acrobaties mal chorégraphiées me servent de gymnastique, une brève colère contre l’ordi, lambin, me remémore que le temps  n’est pas une fiction. Omniprésentes, les bêtes sont au garde à vous  devant leur plat. Temps d’arrêt. Ciel! Quelle tête je fais. La barbe longue de cinq jours, manifestement mouchetée de gris, les griffes de lion, ces rides entre les yeux qui se creusent efficacement une tranchée et, en bonus, le front plaqué de rougeurs, conséquence visible de mon intolérance aux arachides. Bonjour la vie!
Mon image déformée par la rondeur du grille-pain me rappelle mon mantra matinal d’il n’y a pas si longtemps : « Esthète le jour, mais esti de lette le matin ». J’ai banni ces mots poignards  qui  aplatissent le moral et minent inutilement la confiance en soi. Je connais l’origine de mon malaise relié à mon histoire personnelle, mes empreintes familiales et les préjugés sociaux de mon adolescence. Je sais aussi que la légitimité d’être soi n’est pas gratuite et ne se fait pas sans heurts. Inconsciemment, en explorant mon style vestimentaire,  je cherchais ma place. Mais reconnaître son look ne garantit pas toujours de trouver son chemin, parlez-en au Petit Poucet.
En corrigeant mon propre regard sur moi et en m’immunisant contre l’opinion néfaste des autres, ma communication visuelle s’est clarifiée. Je reconnais maintenant que mes comportements vestimentaires me conduisent dans les mêmes excès et les mêmes modérations que mes comportements alimentaires. Ainsi donc j’habite mes vêtements avec la même conscience que j’habite mon corps, parfois intensément, par instants sans émotions ni sensations. Un vêtement seul n’existe pas. On doit lui donner vie, l’incarner, afin qu’il prenne la couleur de notre humeur et de notre personnalité. La parure, par je ne sais quel décret, a été isolée de l’ensemble de nos comportements humains et trop souvent jugée comme un phénomène dans une classe à part. Pourtant, n’y a-t-il pas un fil conducteur dans l’ensemble des sphères de notre vie et de nos comportements?
Suis-je ce que je porte? Sûrement! Je vêts bien!