Slow food, slow mood, slow mode

L’air du temps traduit le climat d’un groupe ou d’une société. Saison après saison, année après année, des thèmes se dessinent dans le paysage de la consommation. D’abord embryonnaires, ces sujets évoluent passant de tendances sourdes à tendances lourdes ou échouent carrément, le timing n’étant pas favorable à leur éclosion. Certains concepts sont prévisibles, d’autres spontanés et leur temps d’infiltration dans les mœurs ou les habitudes de consommation varient de quelques mois à quelques années.
Le Slow wear nous démontre bien ce phénomène. Précédé par le Slow life et le Slow food des années ’90, ce courant s’installe plus solidement avec  le concept du Slow design en 2004,  popularisé par Alastair Fuad-Luke. Quant à lui, le sociologue italien Carlo Petrini utilise plutôt le terme « Malfringue » qui s’inscrit dans la ligne de pensée de la malbouffe.
Slow wear, slow mode, slow fashion, tous ces termes nous renvoient à une mode éthique, c’est-à-dire connaître la provenance des vêtements, l’impact écologique et économique de nos habitudes reliées aux fringues. Le Slow fashion n’est pas tant de consommer moins que de consommer mieux en opposition au Fast fashion où les styles en magasin sont renouvelés à toutes les deux à six semaines. Notre univers personnel gravite autour de la consommation et de la surconsommation qui alimentent à leur tour la compulsion et  nourrissent l’impulsion. « L’hyperconsommation », terme utilisé par Gilles Lipovetsky dans son livre  Le bonheur paradoxal se définit comme la consommation basée sur l’insatisfaction permanente. La consommation, spécialement celle de produits éphémères comme la mode ne fait-elle pas office de calmant, particulièrement en cette période de crise?

L’intention est louable et on applaudit pareille initiative du Slow mais tout phénomène social émergent connaît des ratés et comme Analyste en comportements vestimentaires je suis préoccupé par les dérives possibles. Après les dictats du clergé dans les années 50, les dictats des tendances de la mode où les créateurs étaient vus comme des décideurs absolus dans les années ‘80, la pression et les dictats sociaux d’être les meilleurs en tout en 90, serons-nous maintenant sous la loupe des écolos? Les égos écolos remplaceront-ils les égos spirituels des zens, les égos culturels des intellos et les égos matériels de la finance? Remettrons-nous la mode au banc des accusés encore une fois?

« La slow fashion milite pour un retour aux vraies valeurs. L’essentiel, le vêtement utile. » Christel Carlotti, IFM. Quelles sont donc ces vraies valeurs?  Quelle définition donnons-nous à un vêtement utile? Cette école de pensée préconise aussi le retour du basique. Alors qu’on commence à peine à sortir de notre mentalité judéo-chrétienne où se trouver beau et élégant n’est plus signe de vanité et de prétention et que le style personnel fait son coming out, voilà que s’ajoute une nouvelle donne.

Les effets de ce courant seront bénéfiques ou pervers. Développer la conscience de la planète est primordial certes,  mais comment appliquerons-nous concrètement ces concepts dans une démarche stylistique ? Où logeront la coquetterie, la personnalité, l’identité et la profession de chacun? On ne peut se vêtir que de basiques, pas plus qu’on ne peut se décorer que d’accessoires ou ne porter que des vêtements « trendy ». L’équilibre suppose la balance de tous ces éléments.
L’éducation vestimentaire et la relation corps/vêture/conscience sont elles aussi embryonnaires chez nous. Leurs balbutiements s’harmoniseront-ils  à ceux des Slow? Évitons de développer le bien-être d’un côté et la culpabilité de l’autre.
Lentement mais surement!


La duchesse, la châtelaine et le fou du roi

Le hall de réception de leur entreprise s’apparente à un poste de commandement. La duchesse, la châtelaine et le fou du roi s’y rejoignent pour caqueter. À l’approche de quiconque, ils baissent le ton, ricanent, se regardent de côté. À l’heure du lunch le  procès des collègues est sans pitié. Le triangle infernal loge dans les bureaux d’architectes, chez les courtiers en placements, les agents d’immeubles, les salles de profs, partout où le terreau est fertile au commérage.

LA DUCHESSE
Fiche technique
Elle se pense indispensable puisque plusieurs lui doivent un service pour faveur obtenue. On la redoute parce qu’elle espionne les secrets de tous. Elle aurait voulu être une artiste, signer des autographes mais faute de mieux elle griffonne des bonds de commande. Pour gagner  sa confiance, les clients la complimentent et la réclament, profitant ainsi de son pouvoir d’influence. Elle confond fans et clients.

Quête
Quête d’admiration et de pouvoir. L’indifférence à son égard tue la duchesse.

Habitudes vestimentaires
Juste ce qu’il faut de détails de poitrine et de cuisse, là où l’œil s’arrête et l’indécence commence. Elle n’aime pas sa taille, ni ses hanches.

Style
Mi-romantique, mi séductrice

LA CHÂTELAINE
Fiche technique
Misogyne, elle en a contre toutes les femmes, spécialement celles qui sont en couple. Elle dénigre aussi leurs conjoints. Ses propos acrimonieux n’incitent pas à l’amitié. Sa lecture des autres est la description de son ombre : « Trop sexy, décolletée, vulgaire ». Vous adresser la parole est un  privilège pour ses interlocuteurs.

Quête
Quête de contrôle. La présence des belles femmes déprime la châtelaine et crée chez elle un sentiment de ballotage.

Habitudes vestimentaires
Favorise les robes sanglées à la taille créant ainsi des formes qui amenuisent son tempérament de gendarme. Ses ceintures symbolisent la goupille d’une grenade. Démarche de guerrière qui s’en va au combat. Ses pas sont bruyants.

Style
Elsa la louve. Dramatique sans théâtralité. Affectionne le noir. Elle vise la perfection pour elle et  l’exige aux autres. Refuse toute théorie démontrant le lien entre l’habillement et la personnalité.

LE FOU DU ROI
Fiche technique
Se situe entre l’hétéro molasse et le gay viril. Pantin de la duchesse sur qui il mise pour rencontrer quelqu’un. Rend des services à tout le monde sans exception. Redoute le rejet.

Quête
Quête d’amour. Il jalouse les gars bien dans leur peau.

Habitudes vestimentaires
Choisira ses tenues en fonction du potentiel amoureux des clients invités aux rencontres d’affaires. Son parfum trop lourd trahit son manque d’affirmation. Ce parfum, comme ses deux acolytes, se prononce à sa place.

Style
Preppy mal épilé. Sa forte pilosité le gêne et contraste avec son air bon enfant. Il camoufle alors son cou, son torse et ses bras. Ce look plutôt hermétique s’avère moins souffrant que l’épilation.

Cauchemar
Le pire scénario pour cette meute: l’embauche d’une nouvelle employée, diplômée et expérimentée ou d’un nouveau venu, tout en dents,  intelligent et griffé. Ils se sentiraient alors comme des stagiaires et au prochain lunch, plutôt que de ragoter ils iraient magasiner, question de rester dans la mêlée.

« Les chiens aboient, la caravane passe ». Proverbe arabe


Commettre un imper

Jade m’écrit cette note à la fin de son examen de session : « Monsieur le professeur, je vous aime bien mais votre obsession de la saint-taxe m’exorbite. » À l’encre rouge je rajoute : » Qu’essaies-tu de me communiquer exactement? Que je t’exaspère. Ne te fais pas de soucis, il n’y a pas de taxe sur ta note d’examen ».
Hugo Dumas de La Presse nous a maintes fois décrié la « lalaïsation » des participants de Loft Story. « J’m’ai dit, ça va d’être le fun » et « Y sont ta fins avec moi » n’en sont que quelques exemples.
Imaginez le Petit chaperon rouge qui s’adresse à sa grand-mère en ces termes : « Ostie de calice grand-maman quesse tu veux con fèse? » « Un bon juron ça donne le ton et un gros rire gras ça replace les chakras » disait Gérard, prof de philo au Cégep. J’en doute! Certains mots sont chargés de pouvoir, d’autres de finesse, tout comme le vêtement. Y a-t-il une corrélation entre notre langage verbal et notre langage vestimentaire? Pauvreté esthétique rime-t-elle avec médiocrité de la langue? Pas nécessairement mais l’une comme l’autre nous questionne sur un individu.

Une faute de goût est comparable à un lapsus. Un employé qui prend congé pour un rendez-vous chez sa « théra pute » fait sourire et peut semer le doute sur ses intentions. Une cravate mal assortie n’est rien de plus qu’un délit vestimentaire et ne prouve pas l’indifférence d’un homme sur son apparence.
Cependant, le raté vestimentaire ou le manque de  cohérence de notre tenue par rapport aux circonstances, aux gens que nous rencontrons et à notre environnement témoigne de notre manque de connaissance des codes et peut laisser une impression de relâchement. Qu’elle soit vestimentaire ou langagière, cette mollesse est une composante de notre image et  « on sexe pose » à des perceptions erronées de la part de nos interlocuteurs. Selon Marie-Louise Pierson, psychanalyste et auteure de nombreux livres sur l’image « Le look peut parasiter notre discours ».

Le précepte  « Soyez cool » est une arme à deux tranchants. Je parle je mange et je m’habille comme je veux, mais on m’entend, on me regarde et on m’évalue en conséquence. L’effet provoqué est-il celui  souhaité?
Aude Roy, coach en image, est formelle. « Chaque vêtement que vous portez, chaque accessoire qui vous accompagne est un mot de vous, un mot sur vous. Considérez les éléments qui composent votre image comme du vocabulaire ».

À “suire”.


À chacun sa Brenda Montgomery

Bernadette Lemoine gère les comptes-clients de son époux Béranger, notre fournisseur d’huile à chauffage à la campagne. Sachant mon plaisir à étudier des nouveaux spécimens, mes amis insistaient pour que je la rencontre. Madame Lemoine de la rue Lemoine (baptisée ainsi en l’honneur de son mari entrepreneur), est reconnue pour sa personnalité pétulante et son look atypique. Prétextant ne plus avoir de chèque pour la payer et préférant le faire en espèces, je lui téléphone. À prime abord un brin ergoteuse au bout du fil, je m’attendais à un échange plutôt froid.
La totale! Tout transpire l’exagération chez cette femme : son look, ses chats qui ne suscitent aucun élan de caresse,  la cigarette qui grille en permanence et un disque de Dalida qui joue en boucle. Par quoi commencer? Par moi-même.
Mon travail n’est pas de juger mais de m’affairer à comprendre les comportements reliés aux looks et au vêtement. Cette ambassadrice du kitch me plonge dans un questionnement. Le bon goût et le mauvais goût existent-ils? Qu’est-ce que l’esthétisme? Je ne sais plus. Si une démarche vestimentaire évolue en dose homéopathique chez certaines personnes, à l’opposé chez d’autres elle se fait à la vitesse et la force de l’ouragan Katrina.
Son assurance, plus que son allure, me déconcerte alors que sa collection d’horloges suisses desquelles s’extirpent aux deux minutes des moineaux aux coucous stridents me déconcentre. Mon œil, mes oreilles et mon cerveau sont sollicités de toute part. Ses cheveux roux frisés style afro sont repoussés et retenus vers l’arrière par une passe perlée ne faisant ainsi aucun ombrage à la quincaillerie du visage. Six anneaux traversent le lobe droit et huit faux diamants l’oreille gauche. Un chandail moulant en V aux motifs léopards exhibe une poitrine sans soutien-gorge parée de chaînes et de pendentifs en or qui s’entrecroisent. Des ongles de couleurs variées décorent ses mains baguées à  l’index, à l’auriculaire et  au pouce. Un pantalon de jogging beige stoppé par une bande élastique à la cheville s’arrête sur une chaussure en suède rose à talons hauts, plateformes incluses. Bracelets aux poignets et chaînettes aux chevilles complètent ce look d’esclave des temps modernes. Esclave ou totalement libre des références médiatiques? Déconnectée de l’univers ou au contraire entièrement centrée sur elle-même, ses goûts, ses fantaisies? Look suranné? Monumental? Air emprunté?
Quelle est la vraie nature de Bernadette? Quelqu’un frappe à la porte. Ce sont Astrid et Jouvence, ses petites-filles de onze et treize ans. La grand-maman de soixante et six ans éteint vite sa cigarette, oublie ma présence et câline les fillettes. D’un sourire bienveillant qui dégage un diamant incrusté dans une dent, elle me raccompagne à la porte, escortée par les coucous de 16 heures.
Brenda Montgomery « Du cœur a ses raisons » fait des émules.


Mode d’emploi

Déboulonner les préjugés entourant la mode n’est pas chose simple. Comment peut-il en être autrement? D’une part on glorifie le design et glamourise le fashion, d’autre part, aucun code d’éthique n’encadre la plupart des métiers satellite. Se croisent donc dans la même ville une maquilleuse, artiste du pinceau qui sait donner à un regard toute l’intensité d’un individu et une poudreuse qui n’a pour job que de camoufler avec son plumeau la brillance d’un visage. Des agences de mannequins côtoient des agences de pitounes, des kodak kids sans imagination se qualifient de photographes alors que des pros pratiquent l’art de la photo et nous offrent des chefs d’œuvre. Des maisons d’enseignement prodiguent la connaissance dans les règles de l’art, certains collèges, plus mercantiles, vendent des cours comme d’autres commerces distribuent un quelconque produit et forment des designers en série comme les petits pains d’une boulangerie.

Comme tout bon secteur économique qui investit dans des stratégies marketing, les artisans de la mode qui ont accès à ces principes de promo ont une longueur d’avance. Dans certains cas, la renommée va de pair avec les moyens. Cependant, le talent doit être au rendez-vous et un créateur de mode si populaire soit-il a comme mission de « créer » et non pas de s’agiter comme un « cheerleader » de la guenille.
Quand un représentant de la mode au vocabulaire indigent fait l’éloge d’une robe « légerte » ou d’une « belle ensemble de Nouelle » à la télé ou qu’une chroniqueuse de spectacle qui fréquente les salonnards du jet set confond élégance et quétainerie, il devient assez gênant de réclamer nos lettres de noblesse.

En quarante ans de carrière j’ai vu défiler au Québec des associations de créateurs de mode, des maisons d’enseignement spécialisées, des salons de prêt-à-porter, des concours et des galas télévisés célébrant l’industrie de la mode. Des maisons comptables de renom ont scruté  plus d’une fois la santé financière de la mode et prédit avec un dédain à peine voilé la fin éminente du milieu. Ce diagnostic  démontre bien le manque de connaissance et de compréhension de la finance à l’égard de la différence et des arts. Évidemment, au fil des ans une crise anthropologique a succédé à des crises économiques occasionnant des changements de valeurs et d’habitudes de consommation.

Mais le vêtement demeure, présent dans nos vies, nos jobs, nos rencontres. La relation au vêtement est encore un sujet orphelin au Québec et les Québécois ont l’épiderme bien mince concernant les apparences. On confond authenticité et souci de soi, fashion victim et le goût d’être à son meilleur. Pour donner un sens à nos comportements vestimentaires il faut d’abord considérer le vêtement comme un outil important à nos rapports sociaux, affectifs et professionnels et non seulement comme une fantaisie et un caprice de l’égo.
Suivre ou survivre à la mode!


Corpus Christi

« Ceci est mon corps, je vous le donne. » dit symboliquement le Christ à ses fidèles Apôtres dans la Bible. « Ceci est mon christ de corps, qu’il le reprenne » me réplique une participante inscrite à mon atelier À corps perdu. « Que de haine à l’égard de son enveloppe charnelle », me dis-je. Toutes et tous n’ont pas ce jugement  sévère à l’égard de leur corps mais les recherches sur le sujet tendent à démontrer que peu de femmes (et de moins en moins d’hommes) évaluent positivement leur physique. Le discours n’est pas récent et le phénomène abondamment documenté. Mais encore!
Collectivement ou individuellement, quels gestes poserons-nous pour ramener de la compassion à l’égard de nos corps? Y aura-t-il une fin à ce saccage? Oui, la fin du monde prévue le 21 décembre 2012 me direz-vous. Je sais, mais c’est trop loin.

À la question posée dans cet atelier : « Quelle partie de votre anatomie aimez-vous le moins? » les réponses entendues me donnent l’impression d’habiter la maison des horreurs en cette veille d’Halloween. Cou trop long (femme girafe), rotule du genou trop grosse, cuisse comme un jambon de Parme, fesse-tonneau, épaules de footballeur, nez de boxeur, main de truckeur, sans oublier les classiques : vergetures, cellulite, cheveux raides comme des rideaux de douche, bouche trop petite, lèvres trop minces, oreilles décollées….Faites votre choix.
Tenir les disgrâces du corps responsables de nos malheurs, de notre manque de confiance et de notre difficulté à se réaliser n’est-il pas une fausse raison pour détourner un malaise qui nous habite? La critique paralyse d’autant plus que l’évaluation du « body » est souvent faite à travers un prisme déformant.
Que garantissent la beauté et un corps sculpté sinon que d’être admirés et désirés. L’intelligence suscite l’admiration et la richesse symbolise la réussite. Que cherche-t-on véritablement? Quels sont nos déficits? L’amour, l’adulation, la séduction, la gloire, et quoi encore?

À ces écorchés de l’apparence physique, je suggère de miser sur leur capital. Capital-sourire, capital-empathie, capital-santé, capital-charme, leur signature humaine quoi!
Plutôt que de focaliser l’attention sur l’arbre qui cache la forêt, valorisez votre marque de commerce : votre œil inquisiteur, votre sourire complice, vos mains de déesse, vos jambes hollywoodiennes, vos lèvres soutenues, votre teint éclatant, votre voix de lectrice, votre port de tête princier. Demandez à vos amis ce qui vous distingue de la fille d’à côté.
« Un ange comme un diamant ne se fabrique pas mais se découvre. »


Conduite vestimentaire

Mon métier d’Analyste en comportements vestimentaires m’amène à observer les gens dans l’ensemble de leurs habitudes et à me pencher sur la tendance qui se dessine chez un individu. Si je compare le rapport qu’une personne entretient avec son alimentation, ses loisirs et la décoration de son habitat, il est possible de trouver le fil conducteur de ses comportements et  de l’appliquer à ses pratiques vestimentaires. L’inverse est aussi possible. Décortiquées, la relation au vêtement et la dynamique vestimentaire d’un individu nous pistent sur son rapport à la vie.
Mon travail consiste à accompagner les femmes et les hommes qui par le biais de leur relation à l’image personnelle, le corps et les looks, complètent un travail de compréhension sur eux-mêmes. Le vêtement est un outil pour s’observer, s’étudier et se révéler. Un rapport sain au vêtement ne laisse aucunement supposer un manque de critique à l’égard de la mode qui à l’instar de plusieurs domaines doit se plier aux lois du marketing pour subsister.
J’utilise dans ma pratique le jeu, le dessin, des grilles sémantiques où les mots sont à l’honneur et des exercices de symbolique. Prenons par exemple votre conduite automobile et  transposons votre comportement sur la route à vos habitudes vestimentaires.

Êtes-vous A) Un conducteur  B) Un pilote de course (même chose en vélo)?
Le pilote de course aspire à être le premier tout comme l’initiateur d’une tendance ou d’un style alors que le conducteur suit le courant dans l’ordre des choses.

Quelle est votre attitude dans la circulation dense? A) Vous suivez la file B) Vous tricotez pour vous faufiler plus rapidement par une ruelle?
A) La circulation dense représente la majorité de la population (au moins 60%). B) En utilisant les ruelles, vous sortez des sentiers connus. Appliqué à votre style, ce comportement peut témoigner de votre singularité.

Votre trajectoire est déviée vers une direction inconnue et mal indiquée de surcroît. A) C’est la panique B) Au contraire, découvrir un autre coin de la région vous enchante?
Votre réaction au changement de route non prévu peut indiquer A) Votre capacité à la nouveauté B) Votre difficulté à négocier le changement en matière de tendance et de mode.

En cherchant un espace de stationnement A) Vous vous glissez dans la première place disponible B) Vous espérez que l’emplacement parfait se présente par magie au risque de vous retrouvez dans un stationnement municipal à quatre fois le prix?
Le stationnement ressemble étrangement au shopping. A) Flairer la bonne affaire et acheter maintenant B) Hésiter en souhaitant trouver mieux ou pis encore angoisser à l’idée de ne rien trouver du tout.

Sceptiques? Vous avez raison, surtout si vous ne conduisez pas! Mon but n’est pas de convaincre les personnalités suspicieuses mais d’amener les gens à réaliser que les vêtements, les tenues et les looks s’inscrivent dans une suite logique des nos comportements.


Le look n’est pas un sandwich

Je me dirige vers Montréal en voiture, le temps est magnifique; presque personne sur la route. Le chien et le chat dorment au son du moteur dans leur cage respective, face au soleil. Il ne manque  que des ailes à mon bolide pour sentir plus de liberté. La morosité de l’été pluvieux est déjà derrière moi.  Et si j’ajoutais de la musique pour célébrer ce mois de septembre ensoleillé? Mauvaise idée! À la radio, une chanson démodée me replonge 30 ans en arrière, ravive un lointain souvenir, le cœur me serre et brutalement un sentiment de mélancolie m’habite. Une journée froide et pluvieuse de novembre n’aurait pas pire effet.

Nous sommes tous habités par des sentiments et des émotions qui surgissent selon les gens ou les circonstances qui se présentent à nous. Être prisonnier de la circulation sur un pont pendant des heures stimule notre impatience; un enfant en panique perdu dans un parc d’attraction fait  remonter à la surface notre propre abandon; une journée d’été écrasante qui bat des records d’indice d’humidité ressuscite notre envie de marcher dans la neige à -30oC et l’hiver, tout à coup, devient notre saison préférée.

Ainsi en est-il avec le vêtement. L’image corporelle est la perception que nous avons de notre corps, l’image visuelle est ce que nous offrons en lecture à nos vis-à-vis alors que l’image sensorielle, elle, correspond à nos sensations. Comment vous sentiez-vous ce matin devant la glace? Dynamique? Effacé? Combatif? Écrasé? Sensuel? Découragé de votre mine fade sans éclat?  Peu importe, vous devez traverser cette journée, vaquer à vos occupations, vous présenter au boulot, bref, composer avec cette énergie qui vous porte ou au contraire qui vous exaspère. Dans ses fonctions, le vêtement peut devenir un outil, un allié pour palier à nos manques ou mettre en évidence une sensation déjà bien installée dès le lever.

« Si notre humeur influence nos tenues, le tissu influence nos pensées. Quels qu’ils soient, les vêtements éveillent en nous des comportements qui sommeillent. Si je porte du fluide et du flou, cela va réveiller en moi la souplesse, la légèreté. Si j’enfile un vêtement sévère, c’est ma rigidité qui s’éveille alors. Le vêtement fait vivre tour à tour des parties de nous-mêmes ». Aline Dagut, École parisienne de la Gestalt.

Le corps, le senti et le visuel s’imbriquent l’un dans l’autre. Le look n’est pas un sandwich où nos sensations sont prises entre le corps et le vêtement comme une tranche de tomate entre deux portions de pain. La fusion entre l’état d’esprit et l’image qu’on désire projeter est la base de notre condition quotidienne : sévère et coincé dans son armure hier, chef de file et tête de chef aujourd’hui, sensuelle et ultra féminine demain. Quoi qu’en pensent les clercs du style et les tyrans du « il faut être à la hauteur », l’humain n’est pas un concept mais un mélange de joie, de peur, d’inquiétude, de collégialité, d’humour. Le vêtement ne fait que le révéler.


MUGUETTE

Muguette n’est pas une fillette et pourtant elle véhicule dans sa gestuelle et dans ses tenues un air de gamine, de jeune écolière. Son père, Eugène, grand admirateur du Frère Marie-Victorin et jardinier en chef du cimetière municipal donna comme prénom à ses cinq filles Fleur-Ange, Muguette, Violette, Rose et Marguerite Lafleur. À l’adolescence, les sœurs Lafleur furent un bon sujet de taquinerie de la part des garçons. « Veux-tu mon pollen? »; « Tu manques d’eau mon bouquet ». C’est ainsi que Marguerite devint Margot, Fleur-Ange modifia son nom pour celui de Marie-Ange et Violette qui épousa un anglophone opta pour Vi. Rose, la moins emmerdée du groupe par cette gymnastique linguistique des noms et des prénoms continua avec fierté de s’appeler Rose et Muguette par respect pour ses origines s’obstina à garder le sien.
Tristement, malgré son prénom particulier, Muguette conserva aussi des manies vestimentaires du passé. J’ai longtemps observé chez cette femme l’incohérence entre son âge et son apparence. Que camouflait ce look chargé de sous-entendu?

Mon travail  d’analyste en comportements vestimentaires (ACV) consiste à mettre en lumière la face cachée des tenues et non d’en faire le bilan au sens esthétique. Toute une armée de relookeurs et de stylistes se charge de cet aspect. Les goûts ne sont pas à discuter mais à expliquer. Le relookeur métamorphose et maquille une silhouette alors que le styliste met de l’avant la personnalité et l’âme d’une personne.  Le relookeur agit, le styliste interagit, d’où l’importance de l’observation des comportements humains.

Aux funérailles d’Eugène qui avait épousé en secondes noces la sœur de mon père je trouvai enfin ma réponse concernant Muguette Lafleur. Invité chez la veuve à partager le buffet après la messe, je m’amusai à regarder les  photos de famille qui tapissaient les murs. Sur tous les clichés, de l’âge de 4 ans à aujourd’hui, Muguette arborait la même coiffure, coupe enfantine où le toupet carré garde la marque du rouleau, nuque rasée, oreille dégagée et ultra volume aux tempes. Même la couleur angélique de ses cheveux est identique encore aujourd’hui. Ces éléments nous démontrent sa résistance à entrer dans le monde des adultes, la négation de quelque chose.
Loin d’être mal fagotée, cette fillette de 56 ans nous informe sur sa vision romancée de la vie avec ses robes fleuries à la Laura Ashley et son style à la Émilie Bordeleau version 2009. En revêtant l’uniforme « Je me souviens », Muguette crois afficher des valeurs plus sincères et authentiques que ses contemporains emportés par le courant de l’air du temps. Le fait-elle par condescendance pour snober la mode ou par prudence pour calmer ses angoisses face au changement?
Morale : si une hirondelle ne fait pas le printemps, du moins un styliste peu rattraper le temps.

Luc Breton rencontre individuellement ceux et celles qui veulent clarifier leur rapport au vêtement et comprendre leurs choix vestimentaires. Ces tête-à-tête  sont tout désignés avant d’entreprendre une démarche avec les stylistes et les spécialistes de l’image. Ces rencontres se veulent une réflexion sur les habitudes vestimentaires.
Voir l’onglet CONSULTATIONS PRIVÉES à www.lucbreton.com


Quête ou Quétaine

Depuis la fin des classes j’accompagne mon neveu de 16 ans dans différents tournois de soccer et nos journées se terminent presque toujours sur une terrasse. Étrangement, l’humeur de dame Nature est souvent synchronisée à celle de l’ado. Installés devant notre sempiternel club sandwich, je l’initie à l’observation des piétons et à la lecture vestimentaire des passants. Interdiction de porter de jugement sur les styles même si parfois la tentation est forte. Genre!

Les éléments à considérer : l’âge, le sexe, la morphologie, la posture, la démarche, l’attitude, le niveau de légèreté ou de sérénité de la personne et évidemment le secteur où tout cela se joue. L’interprétation d’un ado et sa gestion de toutes ces données m’intéresse au plus haut point. Genre! Notre première cible : la rue Ste-Catherine dans le Village, piétonnière pour la saison estivale.

Une famille s’est installée à la table voisine de la nôtre. Le papa et la maman d’un côté, le garçon et la fille de l’autre. Une sortie éducative pour expliquer aux enfants les mystères de la vie. La mère mène le bal et avertit sa progéniture de se retourner quand des cas suspects déambulent. Nos regards se croisent, elle m’épie. Je me suis fais prendre à mon propre jeu et je la perçois mal à l’aise de me voir avec mon jeune joueur de soccer. Suis-je le père, le mon oncle cochon, un sugar daddy, le conjoint de sa mère ou pis encore l’amant de son propre père? Son mari  qu’elle a sommé de les accompagner est catastrophé et se souhaiterait téléporté à la Cage aux sports.

Dimanche, 19 heures, deux clientèles à décrypter : les passants qui paradent et les voyeurs, attablés sous les auvents, feignant de ne pas remarquer toute cette diversité. Des hommes, majoritairement, 30% de femmes et 10% d’une espèce impossible à déterminer, ni chair, ni poisson.

Un catalogue de corps
Des corps bien carrossés et bronzés certes mais en moins grand nombre que la légende urbaine le laisse croire. Des ventres ronds, des très ronds, des plats, des têtes grises, chauves, mauves, des barbes, des barbichettes, des favoris à la Elvis, des imberbes. Des piercings et des tatous surtout. Le corps utilisé comme canevas pour véhiculer un message, une appartenance. La norme inscrite dans le corps.

Profil vestimentaire
La plupart des marcheurs portent des vêtements au goût du jour, flairant l’air du temps : chapeau funky, lunettes stylées, rien d’extravagant dans les circonstances si ce ne sont les poses que chacun se donne pour exprimer sa couleur personnelle. 30% ne sont pas lookés mais costumés. Devant nous ce couple d’hommes. Un porte un kilt noir trop ajusté et bottes de lumber jack, l’autre se pavane en pantalons jupe rouges brodés de flammes jaunes jusqu’aux cuisses. Signe d’affranchissement personnel ou débordement vestimentaire? Un autre homme, lui,  a retrouvé la perruque de Patrick Normand et s’exhibe avec ses bottillons vernis bleu poudre. Où a-t-il dégoté ses accessoires? Une quinquagénaire personnifie Janis Joplin. Elle porte son look comme une écorce. Habiterait-elle la Nouvelle Écorce? Quel personnage se cache derrière un style? Quelle personnalité peut-on reconnaître à travers un look? Quelles motivations poussent un individu à se vêtir hors contexte? Une religieuse missionnaire à la Mère Teresa va droit son chemin et traverse cette faune. Sceptiques, on se demande tous si elle joue un jeu elle aussi. Qui dit vrai? Je ne suis pas un ténor du bon goût mais soudainement j’ai le mal de mode sur les flots du paraître.

Que nous soyons en quête d’identité vestimentaire ou quétaine avec un grand Q, « Le style, cela n’a de sens que si c’est le vôtre. » Versace